La joie, la foi, la Croix : sainteté sacerdotale

A l’occasion de la messe chrismale, célébrée le 25 mars 2013 en la cathédrale Sainte-Marie de la Seds à Toulon monseigneur Dominique Rey a donné l’homélie reproduite ci-après. Voir aussi, au bas de l’article, la vidéo enregistrée par Cançao Nova au cours de la Messe qui a regroupé près de 200 prêtres, 20 diacres, de nombreux consacrés et fidèles.


Chers frères dans le sacerdoce,

En ce début du troisième millénaire, nous nous trouvons dans une époque d’autant plus incertaine que nous traversons des métamorphoses profondes, inédites et ambivalentes qui font à la fois espérer le meilleur et craindre le pire. Avant de trouver des réponses à ces défis, il faut au préalable séjourner dans les paradoxes que suscitent ces bouleversements.

J’en cite quelques uns :
– 1 – Alors que l’Evangile parle de croissance du Royaume, en Europe, nous subissons de plein fouet comme une éradication du christianisme et son décrochage numérique.
– 2 – Comment évangéliser des nations qui ont déjà été évangélisées ? Le christianisme fait plus souvent office de souvenir que de promesse.
– 3 – Comment transmettre le message évangélique énoncé par écrit à une culture de l’image ? Comment passer du dire au voir ?
– 4 – Dans un monde de flux et de réseaux, de mobilité permanente, comment signifier la logique de l’incarnation,
– 5 – Comment parler de la grâce alors que prévaut l’auto-suffisance et le refus de la transcendance ?
– 6 – Face au diktat de la performance et de la réussite, quelle place accorder à la précarité, à la souffrance, à la défaillance, alors que c’est le chemin par lequel Jésus a révélé sur le Golgotha la grandeur de son amour ?
– 7 – De quelle manière accéder à l’intelligence de la foi, à une démarche argumentée alors que la pensée se fait parcellaire, mimétique, que prime l’émotion et le ressenti ?
– 8 – Comment la quête légitime d’identité chrétienne peut-elle ne pas se traduire en repli identitaire ?
– 9 – Comment façonner la communion dans un contexte marqué par la diversité « affinitaire » et l’individualisme ?

Chers frères, avant que d’imaginer des solutions « clés en main », pour répondre à ces défis, ou bien de camper dans des postures spiritualisantes ou nostalgiques du passé idéalisé, la foi nous invite à faire œuvre de discernement spirituel par rapport à ces paradoxes. Je soulignerai quelques lieux de ce discernement :

– A – Ce discernement consiste d’abord à épouser le regard de Dieu sur le monde, sur l’Eglise et sur nous-mêmes. C’est à l’intérieur de ce regard que notre action trouve sa pertinence et sa fécondité, et que nous avons une chance de ne pas intervenir à contretemps. Ce regard aimant de Dieu convertit le nôtre. C’est le regard du père prodigue de l’évangile de Luc, c’est le regard du pasteur qui part à la recherche de la brebis égarée. Le regard de Dieu est fait d’attention, d’espérance, de confiance, de sollicitude, de résilience. Ce regard nous apprend à recevoir le temps de Dieu et à inscrire notre action dans ce que l’Esprit est déjà en train d’accomplir au cœur du monde.

Ce « presque rien » (Jankelevitch), du passage par Dieu, fait de nous des veilleurs, des sentinelles au cœur de notre monde. On n’évangélise pas notre monde de l’extérieur, mais à l’intérieur de ce regard aimant de Dieu qui réclame le silence, la prière, l’adoration et l’intelligence de la foi comme préalable à toute action, alors même que notre tempérament et la culture technicienne de notre temps nous pousseraient à l’engagement dans l’urgence. Le vrai défi du prêtre, du chrétien, c’est de ne pas se laisser consumer par l’action, c’est de s’affranchir de la prégnance de l’immédiat, c’est consentir au primat de la grâce, c’est conquérir un espace intérieur où l’on peut « sentir et goûter les choses intérieurement » (Ignace de Loyola), où l’on décrypte les signes des temps, où on laisse Dieu « devenir Dieu en soi » (Maître Eckhart) car on ne parle avec justesse que de ce que l’on vit intérieurement. C’est à partir de ce regard théologal que le chrétien s’adresse au monde.

– B – Un autre critère de discernement de notre engagement, c’est l’exemplarité. Notre cohérence de vie mesure notre crédibilité missionnaire. Cette cohérence relève d’une unification de soi à partir de l’Evangile et à la suite du Christ portant sa Croix. C’est en raison de ce que Dieu a fait en nous, c’est à cause de ce que Dieu a fait de nous, que nous tenons la preuve de son existence et de sa miséricorde, que se rend palpable la puissance transformante de son amour. Le témoignage que nous avons à rendre relate une expérience fondatrice, une rencontre à la fois personnelle et communautaire avec Dieu. Ce témoignage est signe de contradiction et d’espérance. Ce témoignage (s’il est persuasif sans être racoleur) entraîne les autres par l’élan démonstratif qui le traverse.

– C – Le témoignage de la vérité constitue un 3ème lieu de discernement, alors que prévaut la dictature du relativisme. En effet, le témoignage de vie doit embrayer sur le témoignage de la vérité, sinon il risque de ramener l’autre à soi, et non pas au Christ. Ce témoignage s’énonce dans l’attestation joyeuse, mais aussi dans le dialogue de raison.

Le futur pape François invitait, il y a quelques mois, à retrouver un langage simple, dépouillé (franciscain), une parole humble, avec un cœur brûlant afin d’ouvrir l’accès de notre monde de Dieu.

« Il ne suffit pas que notre vérité soit orthodoxe et notre action pastorale efficace. Sans la joie de la beauté, la vérité devient impitoyable, froide et orgueilleuse, ce que nous voyons dans le discours de nombreux fondamentalistes amers. » (card. Jorge Mario Bergoglio – Homélie de la messe chrismale, 21 avril 2011).

– D – Il y a a un 4ème critère de discernement, c’est que la foi se dit au monde par des mots, mais elle s’inscrit aussi dans la chair de ce monde par des signes. Le prêtre est homme de parole (de la Parole), mais aussi homme des sacrements. « Il signifie » au sens étymologique du terme. Manger, se baigner, se parfumer… autant de gestes domestiques que l’Eglise par sa liturgie a convertis, investis, exhaussés en attestation du Salut. Ces signes humbles dans leur matérialité, sont porteurs de la grâce sanctifiante de Dieu. Ils sont devenus des signes doxologiques, mystagogiques, eschatologiques… Et ils font de la liturgie la pédagogie la plus complète de la foi.

La foi s’énonce, non seulement à partir des signes sacramentels mais aussi par le signe que représente une communauté chrétienne rassemblée dans la charité, au nom de Jésus. Déjà, en 1969, le cardinal Ratzinger, convaincu que l’Eglise traversait une période chaotique semblable à celle des Lumières et de la Révolution française, invitait l’Eglise devenue minoritaire à adopter une posture évangélique et prophétique de résistance spirituelle et intellectuelle. Je le cite : « Nous sommes à un tournant considérable de l’évolution de l’humanité. Un moment à côté duquel le passage du Moyen Age à l’époque moderne semble presque insignifiant. Mais de la crise actuelle, poursuivait-il, émergera une Eglise dépouillée. Elle deviendra plus petite et devra plus ou moins recommencer comme à l’origine. Avec la diminution des fidèles, elle perdra aussi de nombreux privilèges sociaux. Elle renaîtra autour de petits groupes, et de mouvements minoritaires qui remettront la foi au centre de leur espérance. Ce sera une Eglise plus spirituelle, renonçant à toute prétention politique. Pauvre, elle redeviendra l’Eglise des nécessiteux. »

– E – La nouvelle évangélisation nous expose enfin à un 5ème discernement, celui de nous positionner sur le nouveau périmètre de notre monde, sans qu’on dispose toujours d’itinéraires balisés pour l’investir. La postmodernité prétend abolir les frontières : entre les peuples, par la mondialisation ; entre les sexes, par le gender ; entre le profane et le sacré, en revendiquant une laïcité d’exclusion. En réalité, la postmodernité érige une nouvelle frontière, celle formée par le territoire de l’ego : Dans notre « société liquide » (Zygmunt Bauman), l’individu est institué nomade, sans boussole et auto-référé, et il s’arroge le droit de bâtir un nouvel ordre mondial et un droit à la mesure de lui-même : le droit de fabriquer la vie et de cesser de vivre, le droit de se marier avec qui il veut, d’adopter des enfants qu’il se choisit… L’individu s’en remet à l’Etat pour qu’il légitime ses revendications narcissiques. Et l’Etat, devenu autiste, n’est plus au service du bien commun, mais à la solde des lobbys et il organise les ruptures anthropologiques, malgré l’exaspération de la rue qui voit rajouter à la crise économique actuelle une crise sociétale et morale majeure.

Il nous faut inventer de nouvelles formes de proximités à notre société, là où elle se fissure, là où elle guette des raisons d’espérer, là où le monde attend l’annonce explicite du salut par le témoignage de la fraternité. Récemment, un SDF me disait : « La tragédie pour moi n’est pas de manquer de tout, mais de ne compter pour rien, et de ne pouvoir compter sur personne. »

Chers Frères dans le sacerdoce, nous devons aborder la mission que l’Eglise nous confie avec courage et humilité. Le monde attend de nous un triple message : celui de la joie, la joie d’être au Christ, la joie de Le porter au monde ; celui de la foi vécue dans l’Eglise en laquelle s’enracine notre apostolat ; celui de la Croix. Au cours de sa messe d’installation à Rome, le pape François invitait tous les chrétiens à faire le choix de la Croix. « Ayons le courage, vraiment le courage de marcher en présence du Seigneur, avec la Croix du Seigneur, d’édifier l’Eglise sur le sang du Seigneur versé à la Croix, de confesser la gloire du Christ crucifié. »

La joie, la foi, la Croix. Notre sainteté sacerdotale (notre fécondité ministérielle) sera de mettre en œuvre ce triptyque, là où Dieu nous a placés.

+ Dominique Rey

Cathédrale Notre Dame de la Seds

25 mars 2013

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Publié le 25.03.2013.

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