Ascèse, décroissance et justice

Par Philippe Conte, responsable de la Commission Environnement et cadre de vie de l’Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon


Le carême qui est le mémorial du séjour du Christ au désert, est bien évidement l’occasion pour tout catholique de s’interroger sur son lien avec les biens de consommation (y compris les plus nécessaires, comme la nourriture). L’ascèse du Christ ne doit pas, bien sûr, être rapprochée à une sorte d’effort « sportif », une épreuve qu’il faudrait surmonter pour être à même de résister ultérieurement aux tentations, mais plutôt comme un passage obligé pour connaître réellement l’expérience vitale de la subordination du matériel vis-à-vis du spirituel. Le jeûne est donc intériorisation par la personne entière, corps, âme, esprit (1 Thess. 5,23) de cette primauté du spirituel. Pour vivre cela, tout effort de privation n’est pas équivalent, ceux qui regardent directement le corps, (la privation totale ou partielle de nourriture en est l’expression la plus parfaite) sont plus à même de nous conduire vers cette réalité. Sous cet angle il faut le répéter se priver de télévision (ce qui est bon par ailleurs !), n’est pas équivalent à se priver de biens matériels divers au premier rang desquels sont les bien alimentaires.

Ce chemin que le carême nous invite à emprunter ne doit pas être un épisode à la fin duquel nous reprenons nos mœurs anciennes ; il s’agit de nous conduire à modifier en profondeur nos « modes de vie » et de découvrir de manière pérenne les vertus de l’ascèse.

Pouvons-nous tirer quelque enseignement utile dans le champ social de cette expérience personnelle ? Indéniablement il faut répondre par l’affirmative. Le compendium de la doctrine sociale précise ainsi : « l’homme est avant tout invité à se découvrir comme être transcendant, dans chaque dimension de la vie, y compris celle qui est liée aux contextes sociaux, économiques et politiques » (lettre introductive du Card. Sodano). William Cavanaugh ne dit pas autre chose, il écrit : « la manière dont nous nous rattachons au monde matériel est une discipline spirituelle » (« être consommé » p. 91).

Devant l’insatisfaction inévitablement produite par la possession des biens matériels, le consumérisme nous enjoint de la surmonter par l’acquisition de biens nouveaux. A l’inverse le christianisme nous invite à surmonter cette inévitable insatisfaction en nous tournant vers les réalités spirituelles et par conséquence en nous privant durablement d’une part de cette consommation.

En réalité nous rejoignons ici à un point capital de la doctrine sociale de l’Eglise : la destination universelle des biens. Le compendium de la doctrine sociale reprenant les textes du concile, indique ainsi, « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité ». (Const. past. Gaudium et spes). La privation de certains biens devrait amener à pouvoir en disposer au bénéfice de nos frères. Il ne faut pas comprendre que cette mise à disposition doive nécessairement conduire à un usage individuel mais cet usage peut également être collectif. Ainsi une fondation permet à des financements privés de s’employer au bien commun sans avoir à passer par les dédales de la bureaucratie. C’est pourquoi le compendium continue en affirmant que « la propriété privée (…) n’est par essence qu’un instrument pour le respect du principe de la destination universelle des biens et, par conséquent, en dernier ressort, non pas une fin mais un moyen » et cette fin est le bien commun.

L’ascèse personnelle, quand elle conduit à une ascèse habituelle, aboutit donc à substituer une surconsommation individuelle par une consommation ordonnée réorientée vers le bien commun. Ceci serait sans nul doute regardé comme une décroissance en termes de PIB par l’économie classique, mais serait un réel progrès dans le sens de la justice. Pour être concret, il est sans doute plus profitable au PIB d’acheter un sac Hermès que de cotiser à l’Œuvre d’Orient, mais la deuxième option est conforme à la justice.

La généralisation de comportements de ce type permettrait à nos pays de faire un pas pour passer de l’idéal de puissance à l’idéal de perfection et ainsi diminuer fortement leur impact sur la création. En effet, ce ne sont pas les progrès techniques en eux-mêmes qui produisent l’empreinte environnementale insupportable de nos sociétés mais leur financement par la généralisation de leur usage, mais leur consommation de masse. A titre d’exemple concret on peut dire que si les services d’ambulances et la police sont seuls à utiliser les voitures automobiles, l’impact environnemental est des plus restreints ; si au contraire chaque citoyen en est équipé l’air devient irrespirable.

Publié le 12.03.2013.

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