Réaffirmer son identité chrétienne

Au cours de la messe chrismale qui rassemble tous les prêtres du diocèse, Mgr Rey a donné l’homélie reproduite ici.

Retrouvez la version sonore enregistré lors de la diffusion en direct.

Retrouvez aussi le psaume chanté par la schola du séminaire (en bas de l’article).


Tout au long de cette semaine sainte, qui s’est ouverte hier par la célébration de la fête des Rameaux, nous allons avoir l’occasion de réaffirmer notre identité chrétienne.

– Votre identité pour vous, prêtres, qui allez dans quelques instants renouveler vos engagements sacerdotaux ;

– Votre identité baptismale, vous chrétiens, fidèles laïcs et consacrés, qui allez reformuler les promesses de votre baptême à l’occasion de la vigile pascale ou de la célébration de la Pâque.

– Et vous aussi, catéchumènes qui avant d’être plongés dans la cuve baptismale, allez faire le choix du Christ pour recevoir le don de l’Esprit et le pardon de leurs péchés.

L’affirmation de notre identité chrétienne prend tout son sens dans le contexte actuel de délitement des appartenances collectives, que ce soit l’affaiblissement des grands idéaux comme la patrie ou le sens du bien commun, que ce soit le déni de nos racines chrétiennes au nom d’une laïcité d’exclusion, et l’effacement de notre patrimoine symbolique qu’un pseudo art n’hésite pas à caricaturer, à profaner ou à outrager, au nom de la liberté d’expression.

La question de l’identité nationale a fait l’objet de grands débats publics est liée aussi aux flux migratoires et à l’accueil sur notre territoire de familles déracinées qui ont d’autres référents culturels et religieux (je pense à l’Islam) avec le risque du repli communautariste.

La question de la construction de l’identité revêt aussi une dimension éducative. Le brouillage de repères affectifs dû à l’éclatement et à la recomposition des cellules familiales avec ses séquelles considérables sur le plan de la transmission entre les générations est d’actualité.

A la remise en cause du principe d’autorité (puisque tout se négocie dans la société, comme dans la famille) s’ajoute la déstructuration psychique de beaucoup de jeunes à qui on n’a pas enseigné la grammaire de la vie et de l’amour, et qui sont livrés à eux-mêmes à cause du licenciement du père ou de la mère.

Cette question de l’identité, qu’elle se pose à l’échelle collective ou à l’échelle individuelle, relève de 3 interrogations :
– D’où je viens ? Quelles sont mes racines, mes origines ?
– Dans un monde mobile, « liquide », qu’est-ce qui est sûr, inoxydable ?
– Où je vais ? Quel est le but de la vie ? Quel est l’avenir de notre société ?

Ces 3 interrogations, chaque personne les pose à soi-même, mais les pose aussi à la société, à la culture, en lui demandant de lui fournir des valeurs, des projets, des exemples auxquels s’identifier. Faute de répondre à ces interrogations, la cohésion interne de la société et sa pérennité risque de se dissoudre au profit de la promotion des revendications individuelles, de la dictature de l’insouciance ou du désenchantement.

Ces questions actuelles sur l’identité somment le christianisme de se prononcer, de promouvoir à frais nouveaux, son message qui a traversé et façonné 2000 ans d’histoire, mais qui reste d’autant plus actuel qu’il répond à ces 3 questions constitutives de notre humanité : d’où je viens ? Où je vais ? Qui je suis ?

1) Le christianisme d’abord fait mémoire. « Faites ceci en mémoire de moi », dira Jésus à la Cène. Notre foi est mémorial. La foi repose sur un événement du passé que l’Eglise rappelle, célèbre, actualise. Cet événement historique, c’est la Pâque du Seigneur. La Passion, la mort et la résurrection du Christ ; la portée de cet événement, non seulement nous atteint aujourd’hui, mais aussi rejaillit en amont sur ce qui l’a précédé et préparé. Croire, c’est faire, sans nostalgie et à partir du Christ, l’anamnèse de l’histoire.

Avez-vous remarqué que l’Ancien Testament et le Nouveau Testament s’ouvrent par le mot « commencement » ? « béréchit bara élohim » en hébreu dans le livre de la Genèse. « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. » « en arché en o logos » en grec dans l’Evangile de Jean. « Au commencement était le Verbe. »

La foi confesse un commencement à tout, une origine, un point de départ donné par Dieu, et qui marque notre dépendance dans l’être, à son égard.

La tentation prométhéenne de la techno-science fascinée par ses découvertes, mais parfois éthiquement aveuglée, est de prétendre maitriser l’origine, en remontant le plus haut possible dans la chaine biologique de constitution de l’être humain. Mais puisqu’il y a un continuum dans le développement de l’être humain, l’embryon ne peut pas être considéré comme un matériau de laboratoire (jetable ou recyclable). Tertullien écrivait déjà au début du 3ème siècle « Il est déjà un homme celui qui le sera ». L’enjeu éthique auquel doit se soumettre toute investigation est celui du respect au plus vulnérable.

En rappelant aux hommes leur provenance en Dieu, l’Eglise à temps et à contretemps atteste que la vie humaine, depuis sa conception est un acte de Dieu, un don de Dieu, qu’elle est absolument sacrée, au point que chaque personne porte l’image et la ressemblance de Dieu, au point que le Fils éternel du Père a épousé notre nature humaine en devenant à son tour, embryon, fœtus, enfant. Dès que la vie n’est plus respectée dans sa dignité intrinsèque, elle est vite instrumentalisée. On met la main sur elle. Alors, c’est la loi qui en vient à justifier sa destruction et par le dépistage, c’est alors la traque aux handicaps.

Faire mémoire de l’origine, c’est aussi découvrir que la vie est alliance. En considérant l’histoire de la création, le croyant voit en Adam un être qui se définit à partir d’un autre qui lui est assorti et qui le complète, Eve. L’identité humaine s’établit dans un rapport d’altérité : une distinction en vue d’une alliance. Et cette même communion existe entre le Christ et son Eglise : il l’a aimée jusqu’à verser son sang pour elle.

Un des grands périls de notre temps est l’oubli de l’altérité, qui conduit à l’autisme et au narcissisme. La perte des sécurités affectives dans un univers familial instable se conjugue à un système marketing qui s’adresse à l’individu pour exacerber ses appétits de consommation. On se rapatrie sur soi, on se rapatrie sur son écran plat, connecté avec le monde entier, mais coupé de ses proches.

Ce nombrilisme auquel sont soumis nos contemporains, produit beaucoup de conformisme dans la pensée et le mode de vie, un conformisme qui fait le lit au totalitarisme. Dans l’ordre bioéthique, le refus de la différence produit le clonage et l’eugénisme, c’est-à-dire la reproduction de l’identique, le formatage, et aussi l’éradication, la stigmatisation, de ceux dont la vie échappe à la norme édictée par la société ou par la mode.

2) Notre identité chrétienne est faite de la mémoire d’événements fondateurs de notre humanité et notre fidélité consiste à en maintenir la trace (sans pétrifier le passé), car ces événements nous font vivre encore aujourd’hui.

Mais notre identité chrétienne se nourrit aussi du sens de la présente actuelle de Dieu. Dans l’Ancien Testament, Dieu se définit en disant « Je suis », et Jésus reprendra à son compte cette définition, à de multiples reprises. « Avant qu’Abraham fût, je suis ». « Je suis le chemin, la vérité et la vie »… « Je suis le Bon Pasteur »… « Je suis la Vigne ». « Je suis le pain de Vie ». « Ceci est mon corps. Ceci est mon sang ».

« Je suis » . Cette affirmation radicale de l’existence et de sa présence actuelle de Dieu, est une gageure dans un monde mouvant qui perd le sens de l’absolu, où rien n’est plus sûr que le doute, où les certitudes sont bannies car elles pourraient être attentatoires à notre liberté (alors qu’en vérité elles prémunissent la liberté, de l’anarchie)

Etre chrétien, c’est confirmer son adhésion à cette réalité de Dieu (parfois sous une apparence contraire) en disant le Credo (je Crois), et en disant « amen », ce mot d’origine araméenne qui conclut nos prières, et qui signifie « c’est exact, c’est solide, c’est certain ».

La foi ne nous rapporte au passé que pour mieux habiter le présent de la présence de Dieu. « Il est là, il est là », répétait le Curé d’Ars en brandissant l’hostie. Le réalisme de la foi, c’est la création, car la beauté de la nature et de la vie nous parle de Dieu. Le réalisme de la foi, c’est aussi l’Incarnation : dans le visage singulier du Christ se révèle la plénitude du mystère de Dieu et du mystère de l’homme, de tout homme et de tout l’homme.

La foi ne nous évade pas de notre condition mortelle, elle ne se trouve pas dans le monde virtuel, au contraire elle considère le réel et l’humain comme des lieux de révélation du divin. La foi est appelée à habiter l’ordinaire de nos jours, pour parvenir, à partir de ce que nous sommes, et avec la grâce de Dieu, à devenir ce qu’Il veut que nous soyons.

Accueillir notre identité, c’est permettre à la foi et à la raison qui se donnent la main, d’accéder au réel sans chercher à le déconstruire et à le polluer. C’est traiter la nature avec respect, avec économie, sans l’offenser par un mésusage. C’est honorer le corps car il est pour nous le temple de l’Esprit. C’est dénoncer la théorie du gender qui dissocie la sexualité de la sexuation, lorsque l’être humain ne respecte plus son enracinement biologique. Notre foi promeut une écologie : l’écologie de l’homme

3) La crise d’identité, c’est encore ne pas savoir où l’on va. La mort d’un être cher, l’épreuve de l’échec, les désillusions de la vie… semblent signer, pour beaucoup, l’absence de Dieu, en tout cas son insensibilité aux drames de notre monde. Et pourtant, c’est à l’intérieur d’une tragédie qu’il a lui-même traversée de part en part, que le Christ nous révèle le vrai visage du Père.

A chaque messe est célébrée cette tragédie pour rendre présent cette révélation. Et cette révélation est la victoire de l’amour sur la souffrance et sur le mal. Dans chaque eucharistie , la conversion du pain en la présence réelle et sacramentelle du Christ, appelle la conversion du mal subi ou commis, en geste de pardon, en signe de miséricorde, en appel au partage.

L’eucharistie est le gage de ce que nous pouvons changer, de ce que le monde n’est pas soumis à l’irrémédiable. Car toutes les formes de violence commises sur soi, sur les autres, ou sur la société (vandalisme, délinquance, incivilités) traduisent une perte ou un déni d’espérance. On utilise la force pour détruire en pensant que soi-même ou que le monde ne peuvent pas changer.


Le chrétien est député à l’espérance. Parce que « Le Christ est grand prêtre du bonheur qui vient » (Heb 9,11), l’Eglise a pour mission dans un monde en crise et pour beaucoup privé d’avenir, de semer l’espérance, et de la signifier. Les communautés chrétiennes, si elles vivent la charité évangélique, témoignent qu’on ne peut être heureux au détriment ou en dépit des autres ; que le plaisir et l’argent, fut-il légitime, ne font pas le bonheur, et même, peuvent le corrompre, que celui que je côtoie, avec qui je vis ou je travaille, m’est confié à accepter, à aimer et à servir, pour qu’il puisse vivre à la hauteur de son humanité ; que la liberté ne consiste pas à faire tout ce qui me passe par la tête, en étant à la solde de mes pulsions ou de mes intérêts, car la liberté n’est pas comme une fin en soi, mais une disposition, une disponibilité données par Dieu et qui grandit à son contact, pour aimer comme le Christ nous l’a enseigné.

Ces mots de bonheur, de charité, de fidélité, de liberté, de respect… ne sont pas des slogans racoleurs ou de pieux discours pour nous consoler d’un présent difficile, mais ce sont des expériences d’humanité, des visages qui ont rencontré le Christ, qui rendent raison pour le monde, de l’espérance que Dieu lui offre afin de le libérer du scepticisme et de la morosité.

Chers frères prêtres, c’est à vous en particulier qu’il revient de manifester cette identité chrétienne, en faisant mémoire du Christ, en signifiant l’actualité et le réalisme de sa présence en son Eglise, en faisant de vos communautés des lieux d’espérance et de charité fraternelle. Témoignez de cette identité en veillant à l’intégrité du message, car ce qui est en jeu, ce n’est pas votre opinion, mais la foi de l’Eglise ; en portant ce message avec zèle à tous car il est l’avenir de l’humanité ; mais aussi avec compassion car notre monde est blessé ; en étant des hommes libres et courageux ; en prêchant tout autant par la sainteté et l’exemplarité de votre vie, que par la sagesse de votre pensée et la force persuasive de la parole.

La mission sacerdotale que l’Eglise vous confie, trouve un écho significatif dans les paroles prophétiques d’Isaïe, que nous avons entendues dans la première lecture, et qui dessinent en filigrane le visage de Jésus, et que nous pouvons appliquer à notre ministère. « L’Esprit du Seigneur est sur moi, car le Seigneur m’a consacré par l’onction…. Tous ceux qui pleurent, je les consolerai. Au lieu de la cendre, je mettrai sur leur tête le diadème ; ils étaient en deuil, je les parfumerai avec l’huile de joie ; ils étaient dans le désespoir, je leur donnerai des habits de fête… Et vous, vous serez appelés les prêtres du Seigneur. ».

+ Dominique Rey

18 avril 2011

Messe chrismale, – cathédrale Notre-Dame de la Seds


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Publié le 18.04.2011.

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