Nova et vetera
Can. 1279
§1 L’administration des biens ecclésiastiques revient à celui qui dirige de façon immédiate la personne à qui ces biens appartiennent, à moins d’une autre disposition du droit particulier, des statuts ou d’une coutume légitime, et restant sauf le droit d’intervention de l’Ordinaire en cas de négligence de l’administrateur.
Par l’ Abbé Jacques-Yves Pertin
Le principe énoncé dans ce canon du code en vigueur est d’une importance fondamentale pour qui veut avoir une vision d’ensemble du droit patrimonial de l’Eglise : « L’administration des biens ecclésiastiques revient à celui qui dirige de façon immédiate la personne à qui ces biens appartiennent .» Que l’Evêque ou le Curé soit l’administrateur temporel des biens de son diocèse ou de sa paroisse semble relativement évident de prime abord … Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi.
Ce canon est donc avant tout le résumé et la solution des nombreuses vicissitudes qu’a connu l’Eglise au cours des siècles pour assurer sa propre subsistance, pour organiser son culte ou tout simplement pour accomplir les oeuvres de son apostolat.
Nous exposerons ici de façon synthétique les principaux systèmes d’administration des biens ecclésiastiques qui contribuent à mieux comprendre la discipline du code actuel.
1. La personne interposée
Dans les premiers temps, n’ayant pas d’existence légale, l’Eglise était réduite à ce que les biens soient la propriété de personnes individuelles, ce qui comportait de gros risques : que le fidèle « vienne à apostasier ou à renier le caractère fiduciaire de son rôle, dépossession effective s’ensuit pour l’Eglise, qui n’a d’autres moyens de défense contre cette éviction que les moyens spirituels. »
2. L’administration épiscopale
A partir de l’édit de Milan l’Eglise acquiert la capacité patrimoniale qui favorise la stabilité et la croissance de ses moyens matériels. Les biens sont spécialement concentrés principalement au niveau des diocèses, autour de 1’évêque, qui administre l’ensemble des biens en fonction des nécessités de la communauté chrétienne qui lui est confiée. Ce patrimoine est divisé en quatre parties: évêque, clergé, Eglise et pauvres.
3. Les bénéfices
C’est une entité juridique, perpétuelle et légitimement érigée, dotée de biens ou de prestations dont les revenus permettent à un clerc de vivre en échange de certaines prestations. Ce système né de circonstances historiques en Europe manifestaient un principe fondamental : le lien entre le fait de jouir des biens ecclésiastiques et celui d’exercer un office.
Le système des bénéfices a eu une grande importance si l’on pense que sur lui a été fondé la structure patrimoniale et l’organisation de l’Eglise du VIII ème siècle jusqu’en 1983. Si cette organisation reflète au début une chrétienté qui se met en place progressivement grâce à la générosité des fidèles, elle met aussi dans de nombreux cas le clerc dans une situation soit de dépendance par rapport aux laïcs fondateur d’une « église propre » soit dans une certaine indépendance par rapport à l’autorité hiérarchique, ce qu’il faudrait nuancer bien sûr. Ce système permettait en tous cas une certaine stabilité économique dans une société où les principales richesses résidaient en des terres cultivables.
Cette conception sera dépassée pour un double motif : d’abord les différentes guerres et la transformation de l’économie mondiale font perdre leur valeur aux antiques bénéfices. Ensuite le Concile Vatican II manifeste le désir de retourner à la conception antique du partage des biens par l’évêque.
4. L’administration sécularisée
Sous ce titre générique, nous entendons une série de systèmes créés dans un contexte historique postérieur à la Révolution française par les états eux-mêmes et donc dans un climat de lutte contre l’Eglise ; en voici les principales caractéristiques générales :
• Nationalisation des biens de l’Eglise par ingérence directe de l’état.
• Suppression des ordres religieux contemplatifs et éventuellement redistribution des biens au profit du clergé séculier seul jugé utile.
• Rémunération du clergé considéré somme un fonctionnaire d’état .
• Création d’entités civiles chargées de gérer les biens du clergé avec personnalité juridique civile.
• Séparation nette entre ces entités et l’office ecclésiastique lui-même tendant à créer du même coup une double hiérarchie à la manière des églises protestantes .
• Tendance à la démocratisation de l’administration des biens ecclésiastiques (les choses temporelles sont de la seule compétence des citoyens )
5. La « parish corporation » et la « corporation sole »
N’étant pas nées dans un climat de persécution, mais dans le contexte particulier de la création des Etats-Unis d’Amérique il convient de les séparer des autres systèmes . Si la volonté pacifique de ne discriminer aucune religion fut la clef de voûte du système américain en matière de liberté religieuse (et fut pour cela profitable à l’Eglise), cela posait le problème de la personnalité juridique de l’Eglise dont le statut se trouvait du même coup relégué au niveau du droit privé. Les « Trusties corporations » (associations de fidèles) reprenant le modèle protestant gèrent les biens temporels et ont seules la personnalité juridique.
Les conflits nés de cette organisation font voir le jour à deux systèmes encore en vigueur aujourd’hui : la « parish corporation » (conseil directif de 5 membres dont la majorité est ecclésiastique) et la « corporation sole » (toute la propriété est confiée personnellement à l’évêque et transférée automatiquement à son successeur). La « parish corporation » a la préférence : elle n’est pas sans rappeler les consignes du code en vigueur en matière de conseil que le clerc doit demander aux laïcs.
6. Les principes de la législation de 1983
Le Concile Vatican II donne la « priorité à la fonction ecclésiastique elle-même » , abandonnant le système bénéficial. Doivent être constituées selon les vœux du même concile des caisses communes destinées au maintien du clergé, aux besoins du diocèse et à la sécurité sociale pour les prêtres. L’Evêque en administre la gestion en collaboration avec des prêtres et d’experts en économie : l’évêque conduisant le troupeau ne peut être exclu de l’administration temporelle.
La législation en vigueur retient deux principes :
• La liberté d’action du pasteur ou principe d’indépendance.
• La nécessité d’une tutelle en matière de conseil (aide d’experts) ou principe de contrôle prenant en considération la fragilité humaine.
Nil sub sole novum ! Le can. 1279 à la lumière de cette brève étude apparaît donc, plus qu’un principe nouveau, un vieux principe nouvellement formulé. Le can. 1282 n’oppose d’ailleurs pas le clerc ou le laïc dans l’administration des biens ecclésiastiques, il rappelle simplement que quiconque y participe à un titre légitime est tenu d’agir « nomine Ecclesiae », c’est-à-dire « ad normam iuris »
Publié le 14.09.2012.
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