Le retable du XVe siècle de l’église de Pignans

Comment se rendre à Pignans sans entrer dans l’église paroissiale pour admirer son célèbre retable ?
Au fond de la nef latérale droite, près de l’autel dédié à la Sainte Vierge, on découvre un grand tableau représentant une descente de croix ou “déploration”. Autrefois placé au-dessus des stalles, derrière le maître-autel, il fut installé à cet endroit depuis sa restauration en 1995.


Ce retable est une œuvre magnifique, datée du XVe siècle. La plupart des spécialistes pensent qu’il appartient à l’école d’Avignon ; certains en revanche y voient l’oeuvre d’un artiste ayant appris son métier auprès des grandes écoles du nord, venu exécuter une commande dans le goût de la région. Un détail, cependant, met tout le monde d’accord : ce sont bien les remparts d’Avignon qui sont représentés à l’arrière-plan de la scène.

Quoiqu’il en soit des considérations historiques, il convient aussi d’aborder une oeuvre de manière tout à fait gratuite afin de se laisser enseigner par elle. Or notre retable réserve bien des trésors à qui accepte d’y entrer.

Celui qui s’approche est en effet d’abord frappé par l’harmonie qui se dégage de l’ensemble des personnages: tous, ils semblent s’organiser selon un tissus de relations très profond. Suivons donc le parcours de notre regard pour essayer de percevoir la profondeur de cette composition.

Marie et son Fils : mystère de compassion

Au centre, dominant le groupe par l’intensité de leur présence, Marie, en larmes, et le corps de son fils étendu, exsangue. Le contraste est saisissant entre l’intensité des couleurs des vêtements de Marie et la pâleur du corps soutenu dans le linceul. Cependant, la guimpe de Marie et le voile de la femme font écho au linceul, tandis que le sang séché qui s’était écoulé du côté du Christ reflète la pourpre que porte Marie. Symboliquement, le rouge est la couleur de la passion. Il n’est pas du tout anodin que Marie en soit revêtue et que le peintre ait voulu nous faire saisir l’union de ces deux personnages par le jeu des couleurs. Lorsque Marie était venue présenter son enfant au Temple, le sage Syméon avait prédit : “et toi, un glaive te transpercera le cœur”. Cette impression de miroir est accentuée par la disposition de Marie qui semble choir dans le sens opposé du corps allongé du Christ.

L’amitié au chevet de la douleur

Marie est si atteinte par l’événement qu’elle semble ne pas pouvoir tenir debout sans le soutien de ceux qui l’entourent : la femme au voile blanc, dont la tête permet à Marie de s’appuyer et le geste de saint Jean qui retient délicatement sa main manifestant ainsi le lien particulier que le Christ vient d’établir entre eux juste avant de mourir : “voici ta Mère. Femme, voici ton Fils”.

Une présence contemplative

Une femme, ayant dans sa ligne de mire à la fois Marie et le visage du Christ, se tient en prière en joignant les mains : elle invite le visiteur à faire de même. Car le tableau, comme l’icône, est fait pour nous mettre tout entier en présence du mystère qu’il représente. Elle nous rappelle aussi que derrière le tragique des évènements, qui provoque ses larmes, il y a le mystère de l’amour du Christ qui a souffert et est mort pour nous. Ainsi, de même le chrétien est invité à contempler toute réalité tragique à la lumière de la croix du Christ.

La délicatesse de l’amour

Un personnage discret, tout absorbé par son geste : Marie-Madeleine. Elle trempe délicatement une plume dans un vase de parfum pour laver les plaies du Christ. Historiquement, les évangiles précisent que les soins du corps n’avaient pu être donnés le vendredi soir en raison de la proximité avec la fête du sabbat qui interdisait tout travail. Ce geste a donc une portée symbolique. Tout d’abord, il rappelle l’onction de Béthanie, quand Marie-Madeleine avait oint les pieds du Christ avec du parfum les essuyant de ses cheveux. Enfin, il manifeste les dispositions intérieures de Marie-Madeleine, toutes empruntes de charité, dans le souvenir du pardon total dont elle avait fait l’objet.

Un regard qui nous touche

Enfin, encadrant la scène comme deux candélabres, deux hommes à la posture figée tiennent le linceul pour qu’y soit déposé le Christ. Celui de gauche soutient la poitrine du Christ et accompagne le mouvement de déposition, celui de droite, les yeux baignés de larmes, sonde le coeur du visiteur et semble dire : “c’est pour toi que le Fils de Dieu est venu, c’est pour te sauver qu’il a pris ton péché sur lui et qu’il est mort, maintenant, voudras-tu lui manifester ta reconnaissance ?”

Le temps de l’éternité

Il reste un dernier personnage un peu en retrait : saint François.. La pratique était courante d’insérer dans un tableau représentant un mystère de la foi des saints en train de les contempler. Ils s’agissait de manifester qu’ils tenaient leur fécondité de cette contemplation, et d’inviter chaque chrétien à les imiter. Par ailleurs, la croix du Christ en forme de tau confirme l’attachement des commanditaires à la spiritualité franciscaine.
Le tableau religieux n’avait pas vocation à représenter un événement historique mais il permettait plutôt de rendre présent un mystère éternel. Ainsi, en contemplant le retable de Pignans, on découvre que trois évènements sont parfaitement contemporain dans le cœur de Dieu :
– le sacrifice du Christ,
– la réception des stigmates de saint François,
– la contemplation de la scène par le visiteur.

Saint François est debout, les mains ouvertes, absorbé par la souffrance de Marie. Ses stigmates sont bien visibles. Il veut nous dire par là que de même que Marie vit la passion du Christ, de même, tout homme, en découvrant jusqu’où l’amour du Christ est allé pour le sauver, est invité à s’associer par la prière et la contemplation, à ce mystère de l’amour rédempteur.


Publié le 08.05.2008.

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