« La vie sacerdotale : une passion ! »

Voici l’homélie de Mgr Dominique Rey prononcée lors de la messe chrismale, le 10 avril 2006, en la cathédrale de Toulon.

En cette messe chrismale, certains d’entre nous vont renouveler leur engagement sacerdotal pour la 25ème ou la 50ème fois. Ces « jubilaires » portent le témoignage d’une fidélité au Christ et à l’Eglise qui s’enracine dans la propre fidélité de Dieu à leur égard. L’apocalypse nomme le Christ, le « témoin fidèle ». Toutes nos fidélités s’originent en lui. En ces jours très saints où nous allons vivre la Pâque du Seigneur, nous allons célébrer cette fidélité du Christ, qui va aller jusqu’au bout de sa mission, jusqu’au sacrifice de sa propre vie.

L’étau se resserre autour de Jésus. Il n’est plus maître de sa vie. Il sera trahi par l’un des siens, abandonné par les autres. Bientôt livré.

Mais il peut encore choisir. Ses options sont limitées mais il décide de réunir ses disciples pour un dernier repas. Il aurait pu fuir, s’isoler. Il traversera ensuite la vallée du Cédron pour rejoindre le jardin de Gethsémani pour faire face à ses ennemis. La liberté commence lorsqu’on s’empare du choix qu’on peut encore faire. Lorsqu’on refuse la résignation. Un des témoins d’Auschwitz expliquait que dans le camp de la mort, la survie dépendait de quelque chose d’aussi trivial que de se laver. Au début, il renonça. L’eau était sale, il n’avait pas de savon. Un de ses compagnons lui expliqua que, s’il ne le faisait pas, il était fichu. Il lui disait : « Nous sommes des esclaves, privés de tout droit, en butte à toutes sortes d’humiliations, voués à la mort, mais il nous reste encore une ressource et nous devons la défendre avec acharnement, parce que c’est la dernière : cette ressource c’est notre consentement. C’est un devoir envers nous-même, ajoutait-il, que de se laver le visage, sans savon, avec de l’eau sale, de nous essuyer avec des chiffons. Un devoir de se laver, de se lever chaque matin, de nous tenir droit sans traîner les sabots. Un devoir de rester toujours vivants, pour ne pas commencer à mourir. « 

Jésus lui aussi pose vis-à-vis des siens des gestes lucides, libres. Il sait sa fin prochaine. Mais il ne se dérobe pas. Ne se résigne pas. Ne se révolte pas. Il assume l’épreuve. Il n’est pas abattu. Il demeure fidèle. Fidèle au Père. Fidèle à sa mission qu’il a reçue du Père.

Au cours de ces jours saints, nous suivons le Christ en sa fidélité extrême. Nous assistons à l’effondrement de la communauté que Jésus avait fondée, en la perte de sa propre vie. C’est la fin d’une histoire. Et en chaque eucharistie où nous rappelons aussi ces événements, nous faisons mémoire de cette tragédie.

Vaclav Havel, écrivain, ancien président de la République tchèque, donnait cette définition de l’espérance : Espérer, ce n’est pas se convaincre que quelque chose finira bien. Espérer, c’est d’abord la certitude que quelque chose a un sens. C’est la conviction qu’un jour adviendra où tout ce que nous vivons, bonheur ou malheur, trouvera sa signification. Que toute notre existence n’est ainsi pas vouée à l’absurde. Car notre vie trouve un sens en s’inscrivant dans une histoire que nous pouvons raconter et à laquelle la nôtre peut se rapporter, se raccrocher. Cette histoire, c’est celle du Christ. Notre vie va quelque part, au lieu d’être une simple succession d’événements aléatoires.

Si l’eucharistie est au cœur de notre vie chrétienne (si elle en est la source et le sommet), si nous sommes prêtres pour l’eucharistie, c’est précisément que notre ministère presbytéral ne se comprend que dans cette tâche d’intégrer toute chose dans le mouvement pascal, la vie de notre monde, les peines et les joies des hommes, les crises et les fécondités de nos communautés, nos propres aridités et nos fragiles victoires… D’assumer tout cela à l’intérieur et à partir d’une histoire qui est l’alliance en Jésus de Dieu avec les hommes, scellée au cours de la Cène.

Notre vie chrétienne et sacerdotale s’inscrit, par la liturgie, dans une histoire, une histoire qui donne forme au déroulement de l’année chrétienne, de l’Avent jusqu’à la fête du Christ Roi, une histoire qui nous rassemble tous les dimanches autour de l’autel, autour d’un mémorial et d’une promesse.

Tout au cours de sa vie publique, Jésus a rencontré des existences qui s’en allaient parfois nulle part, des êtres sans horizon et sans repères, grevés par l’opprobre ou accablés par la maladie. Et il les a engendrés, l’espace d’un geste, d’une parole, d’une simple présence, d’une pure attention, à une liberté nouvelle. Les uns les autres se sont alors redressés, ils sont marché. Ils ont retrouvé l’usage de la parole. Ils ont été délivrés de leur mal ou de leur infamie Ils ont été rendus à eux-mêmes et aux autres. Désormais, leur vie s’est expliquée à partir de Jésus qui les a rencontrés. Leur vie a pris ou a repris sens, à partir de la sienne (et parfois s’est confondue avec elle)

Quand Ellen Mc Arthur terminait son tour du monde à la voile en solitaire, elle comprit qu’elle approchait de la maison quand elle put « sentir la terre ». Chaque eucharistie que nous célébrons apporte une bouffée du Royaume, le parfum de Pâques tandis que tant d’hommes, de femmes, de jeunes cheminent dans l’incertitude, dans l’à peu près, ou parfois l’agonie. Chaque messe nous emporte, nous-mêmes et ceux auxquels nous lie notre ministère, jusqu’à la réalisation de la promesse, jusqu’à la mort vaincue, jusqu’à l’épreuve traversée, jusqu’à la confiance en soi et dans les autres, retrouvée. Si nous ne croyons pas cette transformation possible, nous perdons le sens de notre ministère. Si nous ne croyons pas que je peux changer, que l’autre peut changer, que notre communauté peut changer, parce que le Christ a converti la douleur en don de soi, la violence en pardon, l’inimitié en charité fraternelle.

Parce que le Christ a changé le pain en son Corps, le vin en son sang, l’eucharistie est le signe et le gage de notre espérance : un monde nouveau peut advenir à partir du Christ. Il vient faire « toutes choses nouvelles ». L’eucharistie est un anti-fatalisme. Elle nous interdit d’entretenir ces « murs sans issue » dont parle le livre des Lamentations au chapitre 3, et que les hommes ou nous-mêmes, dressons les uns à l’égard des autres par incompréhension, aveuglement, déception. La parabole du riche et du pauvre Lazare (que nous trouvons chez St Luc) nous montre que nous emportons quelquefois ces séparations jusque dans la mort. « Il a abattu la mer d’inimitié qui séparait des peuples » (Eph.2)

« Voici quel est mon commandement : vous aimer les uns les autres, comme je vous ai aimés » Ces paroles de Jésus n’ont rien de sucré ou de raisonnable. Elles sont du feu. Il les formule comme une injonction, un commandement. Un ordre, que par son propre exemple il a rendu possible d’exécuter. Le Christ nous enjoint d’aimer jusque là. Son amour a rencontré l’outrage, le rejet, l’hostilité, la trahison…bref, a rencontré la Croix. Mais il est resté fidèle.

En ces jours où nous approchons de la Passion…

En ces jours où nous approchons de la Passion, Jésus nous rappelle que la Croix est plantée au cœur de notre double vocation d’apôtre et de chrétien, de baptisé et de consacré. Elle est source de fécondité spirituelle et d’enfantement apostolique. Etre pasteur, disait Benoît XVI dans l’homélie qui inaugurait son ministère de successeur de Pierre, veut dire « aimer, et aimer veut dire être prêt à souffrir ». Il nous faut sans cesse apprendre de Jésus à être pasteur : accepter l’aridité du terrain, supporter l’épreuve, subir la critique, faire l’expérience de l’échec, affronter nos faiblesses et nos fragilités, rechoisir jour après jour sa mission et les fidélités qui sont les nôtres, avant notre intérêt personnel. « Il y a bien de l’amour propre, disait saint François de Sales, à vouloir que tout le monde nous aime et que tout soit pour notre gloire ». Notre mission est labourée de faux pas, de lassitude, parfois de détresse. Notre ministère semble exiger de nous parfois plus que nous croyons pouvoir faire. La Croix a placé Jésus dans une situation limite. La Croix a signé l’échec humain absolu de Jésus de Nazareth. Un échec que la mort vint sceller.

La mort mettra un point final à sa carrière terrestre, réduisant à néant les espoirs des siens. Une mort comme tant d’autres. Mais une agonie à nulle autre pareille. Ni cris de fureur, de souffrance ou de désespoir, ni injure proférée contre le ciel, aucune insulte envers ses bourreaux… Au lieu de maudire, le Crucifié implore le pardon. Ses deux bras étendus entre ciel et terre intercèdent pour l’humanité. Il se réfugie dans la prière. Le centurion s’écrie alors : « Vraiment cet homme est le Fils de Dieu » A ses yeux, cette mort est digne de foi.

Jésus ne meurt pas en sage Athénien, en stoïcien ou en disciple de Socrate. Jésus n’a même pas eu la force de lutter comme les deux larrons. Dieu est faible. Faible de l’amour qu’il nous porte.

Il n’y a pas de vie sacerdotale qui ne soit une passion, qui ne nous place nous aussi aux pieds de la Croix, aux côtés de Marie, du disciple bien aimé, des saintes femmes (que nous vénérons dans notre chère Provence). Notre chemin de vie s’enracine dans ce mystère de Pâques que nous célébrons jour après jour.

Mais déjà nous voyons poindre les rayons de la lumière pascale, les fruits de notre vulnérabilité assumée dans la foi, portée dans le Christ, les germinations évangéliques. Le blé qui lève. Ce sont les rencontres avec tous ceux qui cherchent à tâtons le visage de Dieu, les dialogues avec les catéchumènes dont certains témoignages et les lettres qu’ils m’adressent sont parfois dignes des pages des Actes des apôtres, les communautés, dont l’humble charité au quotidien est semence d’Evangile dans un univers sécularisé, les vocations que Dieu nous donne… Le blé qui lève, c’est aussi nous-même, ce que Dieu fait en nous plus que ce qu’Il nous donne de faire.

Rendons grâce à Dieu qui nous a donné, par l’imposition des mains, la force de la fidélité. Fidélité à le suivre jusqu’au bout. Comme l’écrit l’apôtre Paul aux chrétiens de Thessalonique : « celui qui nous appelle est fidèle ». Au cours de cette messe chrismale, nous allons dans quelques instants ensemble redire notre fidélité au Christ pour le service de son Eglise. Re-choisir la Croix comme le signe qui garantit et vérifie notre volonté de suivre Jésus (jusqu’à l’oubli de soi) sans transiger.

+ Dominique Rey

Publié le 11.04.2006.

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