Don de gamètes : la filiation truquée

Une campagne d’incitation au don de gamètes orchestrée par l’agence de biomédecine a été lancée. Au printemps, ce sont les femmes et leurs ovocytes qui seront visés, avant que les spermatozoïdes ne suivent cet automne. Carine Camby, sa directrice, l’avait annoncée le 28 janvier dernier en divulguant les chiffres de l’assistance médicale à la procréation (AMP) pour l’année 2005.


Les statistiques générales montrent que le recours aux techniques de fécondation artificielle a augmenté sensiblement entre 2002 et 2005 avec 123 000 tentatives enregistrées (108 410 en 2002) donnant lieu à la naissance de 19 026 enfants (contre 15 962 en 2002). Aujourd’hui, 2,4 % des 807 400 naissances en France sont issues directement de l’AMP (inséminations artificielles, fécondation in vitro, micro-injection de spermatozoïdes, …).
C’est à cette occasion que la responsable de l’agence de biomédecine s’est plaint de la pénurie de dons de cellules sexuelles sensées alimentées la filière de l’AMP (assistance médicale à la procréation) hétérologue. Le plus gros contingent des fécondations artificielles est en effet réalisé au sein du couple demandeur et sont dites pour cela homologues. Seul 1 enfant sur 625 nés après une AMP a été conçu avec un gamète issu d’un donneur étranger, ce qui représente quand même 1193 enfants pour la seule année 2005 et plus de 50 000 enfants depuis 1973. La majeure partie d’entre eux est conçue après don de sperme tandis que 100 naissances seraient liées à l’utilisation d’un ovocyte prélevé dans le stock des 500 dons annuels. C’est dans ce contexte qu’est lancée la prochaine campagne de dons. Pour gonfler les chiffres des donneurs et donneuses, le directeur médical de l’agence de biomédecine, François Thépot, rappelle que la loi leur garantit un anonymat absolu et qu’il s’agit avant tout d’un « acte de générosité ». Discours irréfléchi qui n’est plus tenable aujourd’hui.

Le spectre de l’eugénisme

Comme tout ce qui tourne autour de l’AMP, nous ne sommes jamais très loin de l’eugénisme [[Rappelons que même dans une FIV homologue, l’équipe médicale choisit les embryons à réimplanter sur des critères de qualité en les classant par types. Ceux qui n’ont pas « bonne mine » sont détruits (Manuel bioéthique des jeunes, Fondation Lejeune, p. 33).]]. Même si ce point est bien souvent occulté ou ignoré, un entretien est prévu pour permettre entre autres de sélectionner les donneurs. Tout simplement pour écarter ceux qui seraient porteurs de maladies susceptibles d’être transmises à l’enfant conçu via ses cellules sexuelles. Il y a incontestablement une volonté de contrôler en aval la qualité de l’enfant à naître. Ce qu’avait signalé d’ailleurs l’ancien ministre de la Santé, Jean-François Mattei :
On en vient à trier les bons et les mauvais donneurs, à trier ceux qui peuvent être retenus pour transmettre la vie et ceux qui sont écartés. Cette attitude est à l’évidence proche de ce qui pratique dans les élevages, où l’on sélectionne le meilleur étalon reproducteur afin d’améliorer la qualité de la descendance (…). Cela ressemble beaucoup à une stratégie eugénique [[Jean-François Mattei, Les Droits de la vie, Odile Jacob, Paris, 1996, p. 18]].

Une pratique pathogène

Ce n’est pas tout. La conception hétérologue ne va plus de soi tant elle bouleverse les repères familiaux. Qu’on le veuille ou non, l’enfant a une mère et deux pères, un père éducateur et légal, un père biologique et anonyme. Devant ce brouillage de la filiation, beaucoup de parents optent pour le non-dit : tenir l’enfant dans le secret, dans une conspiration du silence organisée à son insu dans l’intention de le protéger. C’est d’ailleurs ce que préconisaient au début les équipes des Cecos (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme), défendant le secret de famille au nom du principe de non-malfaisance, tant la révélation du mode de conception de l’enfant peut être délétère pour son développement mental. La sociologue Dominique Mehl souligne que la révélation à l’adolescence est dramatique, expliquant que les « jeunes réalisent qu’ils ont vécu dans un simulacre ; ils témoignent tous que c’est un vrai choc » (Le Monde, 12 février 2008). C’est pourquoi de plus en plus de spécialistes conseillent d’en parler très tôt : ils font valoir la transparence au nom du droit de savoir. Est-ce vraiment la solution miracle alors même que la question lancinante de l’existence de ce père génétique inconnu continuera à tarauder la conscience angoissée de l’enfant ?

Le témoignage douloureux d’Arthur Kermalvezen, étudiant en psychologie de 24 ans né après une insémination avec sperme de donneur (IAD), montre bien que c’est dans cette dissociation des paternités que gît la cause de toutes les souffrances. Il le raconte dans un livre autobiographique Né de spermatozoïde inconnu (Presses de la Renaissance). Dans une interview accordée au Figaro (5 mars), il explique combien il est difficile de « se construire avec des origines troublées ».

« Ce qui me révolte le plus, c’est que je veux devenir un père de famille et que je vais devoir transmettre cet anonymat. Je suis en psychanalyse depuis 5 ans. […] Savez-vous ce que c’est d’être dans la rue et de se dire que, si ça se trouve, dans cette foule, il y a votre père biologique et que vous êtes incapable de le reconnaître ?.

En outre, la loi en France stipule que le donneur anonyme soit lui-même père de famille. « Qui me dit, si j’épouse une fille conçue par IAD, que ce n’est pas ma sœur ? On est en train de nous faire une jolie tambouille… »
Scénario malheureusement confirmé en Grande-Bretagne où un mariage a dû être suspendu car les futurs époux étaient frère et sœur issus d’un même donneur. De proche en proche, n’est-ce pas toute la famille « biologique » qui est en proie au doute ? La mère de l’enfant IAD, le père social, les grands-parents ne fantasment-ils pas aussi sur ce tiers dont on ne sait rien ? Le donneur et ses propres enfants, ne sont-ils pas amenés à penser à ce fils ou cette fille, ce frère ou cette sœur, qui vit quelque part en France, peut-être loin, peut-être pas ? On voit bien que c’est tout l’équilibre familial qui est atteint de manière irrémédiable.

Revenir en arrière

Arthur Kermalvezen milite ainsi pour la levée de l’anonymat et l’accès aux origines, ce qui est largement compréhensible au vu de la blessure générée par ce bricolage de la filiation et cet escamotage de la paternité. Pour autant, ce témoignage ne vient-il pas ici plutôt conforter une éthique du respect de l’enfant qui énoncerait le droit d’être conçu par les spermatozoïdes et ovocytes de ses parents ? Avec le don de gamètes, nous faisons naître en toute connaissance de cause des orphelins de père (ou de mère). Nous établissons avec l’enfant un rapport de fabrication où seule compte la matière première, l’ingénierie procréative et le projet parental. C’est une vision spiritualiste des rapports familiaux qui tient pour rien la généalogie et la biologie constitutives de l’histoire de toute personne et qui menace tragiquement la construction de son identité.

On pourra nous rétorquer que c’est le cas avec l’adoption. Non, car les parents adoptants viennent au secours d’un enfant déjà là et orphelin de ses deux parents naturels. Le choix de la paternité et de la maternité adoptives « n’est pas à l’origine de l’enfant. Il ne cause pas son existence. Il ne le fait pas fabriquer. Là se trouve toute la différence. Les parents adoptifs se situent dans une logique d’accueil d’un enfant déjà né. Ils ouvrent les bras et leur foyer à cet enfant au passé douloureux. L’enfant n’est guère construit par leur désir, mais reçu d’un autre, c’est-à-dire de ses parents disparus […]. Les parents adoptifs entrent ainsi dans une dynamique de participation à une histoire, à un dessein qui les dépasse et dont ils ne sont pas les premiers responsables. [[Olivier Bonnewijn, Ethique sexuelle et familiale, Editions de l’Emmanuel, Paris, 2006, p. 276]] »

La question ne sera pas réglée par une levée ou non de l’anonymat. C’est une remise à plat radicale qu’il faudrait soumettre au Parlement lors de la révision de la loi de bioéthique. Avec à la clé, la suppression de cette pratique irresponsable, suivant en cela l’exemple d’autres pays européens. Le professeur Arnold Munnich, conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de bioéthique, a envisagé récemment à propos de la recherche sur l’embryon de « revenir en arrière, sachant qu’il y a des précédents comme les OGM, et que cela est techniquement possible [[Journée d’auditions du 29 novembre 2007 organisée par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst)]] ». Ces propos peuvent s’appliquer aussi aux techniques de fécondation hétérologues dont on mesure aujourd’hui pleinement les dommages collatéraux et que nul ne saurait plus ignorer. »

Publié le 26.04.2008.

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