Homélie Ordinations Verbe de Vie à Aubazine le 30 août 2003

Chers Frères et Soeurs,

Dans sa récente lettre apostolique sur le Rosaire, le Pape Jean-Paul II invite l’Eglise à se ” mettre à l’écoute de Marie pour lire le Christ ” (Jean-Paul II).

Marie nous aide à comprendre le Christ, le sacerdoce du Christ (” le grand prêtre du monde à venir ” – lettre aux Hébreux) Elle qui a été présente à la croix, associée au sacrifice de son Fils, offre silencieusement au Père le fruit béni de ses entrailles.

Marie nous aide aussi à comprendre le sacerdoce ministériel, le prêtre. Dans l’Evangile de ce jour, les paroles de Jésus s’adressent au disciple bien aimé : ” Fils, voici ta mère “. En accueillant Marie comme sa mère, Jean comme tout prêtre, entre dans une nouvelle dimension de son union au Christ et de sa mission dans l’Eglise.

Jean-Denis, Jean-Grégoire, Pierre-Emmanuel, vous prêtres et diacre que vous allez devenir dans quelques instants, Marie vous propose un chemin particulier de sanctification. Je voudrais avec vous emprunter ce chemin et en dessiner quelques contours. :

1) D’abord, Marie veut vous donner le sens de la Parole de Dieu. Marie s’est disposée, par la prière et par le recueillement, à accueillir la Parole de Dieu. par son Fiat, elle s’est prêtée sans résistance et sans détour à l’action de la Parole de Dieu, en elle et à travers elle.
Marie vous instruit sur le sens de la Parole.
Jean-Denis, Jean-Grégoire, Pierre-Emmanuel, l’Eglise va vous envoyer à un monde bavard et qui, pour colmater ses vides intérieurs, fait du bruit. Le premier réflexe de nos contemporains est significatif : celui d’allumer le poste de télévision ou la radio. Le silence insupporte, tant il nous renvoie à notre mal être, à notre peur du silence.
Je viens du pays de la lavande et du mistral, pays de la faconde où l’on parle souvent avec la table de multiplication. Je me souviens des reproches que des paroissiens formulaient à l’endroit de leur nouveau curé, exilé des pays du Nord (c’est-à-dire au dessus de la Loire) et qui n’avait pas ” l’accent ” : ” C’est un brave curé, disaient-ils, mais il ne parle que pour dire quelque chose !”.
A contrario, nous parlons souvent pour ne rien dire, dans un flot ininterrompu de sons chaotiques, de paroles creuses, paroles de ” divertissement ” disait Blaise Pascal ou de défoulement, dont l’expression caricaturale sont les émissions de TV reality ou de talk show. Avalanche de mots orphelins de sens et vides de contenu.
Vous le savez, il y a des paroles assassines et des paroles qui relèvent. On peut tuer quelqu’un par le langage en l’enfermant dans son passé, dans la couleur de sa peau ou dans ses convictions religieuses.
L’Evangile nous dit que Jésus parlait avec autorité et que sa Parole libérait ceux qui étaient l’otage de leurs maladies ou de leurs mauvais esprits, prisonniers de leur mutisme. La Parole de Jésus accomplissait parfaitement ce qu’elle signifiait. Elle était performante, efficace, elle donnait la vie. Marie en a fait l’expérience personnelle. Elle a fait crédit à la Parole, elle s’est livrée à la Parole de Dieu, et cette Parole, par l’action de l’Esprit Saint, l’a fécondée.

Jean-Denis, Jean-Grégoire, Pierre-Emmanuel, Marie vous enseigne le sens de la Parole et vous trouverez à sa suite, dans cette Parole de Dieu, un trésor insondable dans lequel vous puiserez pour qu’elle s’incarne en vous, pour qu’elle soit chargée du poids de votre amour pour notre monde, pour que cette Parole, devenue vôtre, soit une parole qui fasse vivre, espérer et croire.
Et quand vous direz à l’autel : ” Ceci est mon corps ” et à un pénitent : ” je te pardonne tes péchés “, votre parole sera investie de la puissance même de l’Esprit pour accomplir efficacement ce qui dépasse vos capacités et votre entendement.
Marie nous fait croire en la puissance de la Parole.

2) Marie a fait une expérience corporelle de Dieu. Le Verbe s’est fait chair en elle. Dieu a tissé en son sein le corps humain de Jésus. Et le sang de Marie coulera désormais dans les veines de son Fils. La grâce infinie de Dieu est ainsi descendue dans la fragilité de son humble servante, et elle a offert son corps à cette opération divine. Elle a accueilli en elle le corps de Jésus. Elle a recueilli au pied de la Croix le corps mort de son Fils, son cadavre.
Mais Marie a vécu aussi la naissance de l’Eglise. Par sa prière, elle entraîne les disciples dans la chambre haute pour que le Paraclet promis descende sur le Corps du Christ qu’est l’Eglise.
Ainsi, Marie vous invite à entrer par elle, avec elle dans une nouvelle intelligence spirituelle du Corps de Jésus : corps eucharistique, corps ecclésial.
Notre culture entretient un rapport difficile avec le corps. Le corps est objet de convoitise et de séduction, objet de promotion publicitaire, et objet de consommation. Il y a un marché très lucratif pour le corps (soins esthétiques, activités sportives ou en rapport avec la médecine….) Le corps est objet de manipulation. Il devient une boîte à outils biologiques ou génétiques.
En réalité, cette focalisation sur le corps cache une disette anthropologique, c’est-à-dire un cruel défaut de la vision de l’être humain. Ce corps choyé, adulé, caressé, que l’on veut conserver selon des canons esthétiques pour le garder toujours jeune, bronzé, athlétique, ce corps est en même temps volontiers mis au rebut lorsqu’il est fripé, usé, marqué par l’âge ou par la maladie (le drame des personnes âgées, isolées ou abandonnées, lié à la canicule est de ce point de vue significatif !)

Le corps humain se présente à nous sous deux perspectives :
– Il nous donne le sens de la limite. Notre corps est sujet à la fatigue et à la mort. Il est ….. mais cette limite est indispensable pour vivre. Les rives d’un fleuve sont sa seule chance pour qu’il ne devienne pas un marais. Le corps nous enseigne qu’il faut contenir, maîtriser, réguler les énergies extérieures, qu’elles soient physiques ou spirituelles, qui sont les nôtres.
– Le corps en deuxième lieu, est expression du don. Notre corps n’existe que dans un rapport à l’environnement. Il faut puiser dans l’écosystème de quoi respirer, se nourrir… Le corps est aussi rapport aux autres, par le langage et les cinq sens.

Jean-Denis, Jean-Grégoire, Pierre-Emmanuel, le Seigneur vous confie son corps : le soin de son corps ecclésial et de son corps eucharistique. Dieu se donne dans son Eglise et dans le Pain. Il épouse en son Fils, les limites d’une communauté humaine et les limites d’un aliment, pour signifier l’amour dont il nous aime. Et cette acceptation d’entrer dans nos limites montre la miséricorde. Un Dieu si grand qui se fait si petit pour se donner à vivre et à manger.
Jean-Denis, Jean-Grégoire, Pierre-Emmanuel, ministres des sacrements vous inviterez la communauté des fidèles à se constituer comme un corps ecclésial dans la célébration du corps eucharistique, et vous inviterez les chrétiens à offrir ” leurs corps, en hostie sainte, vivante, agréable à Dieu ” (Rm 12), comme vous offrez le vôtre, en ce jour, par le choix du célibat.

A l’école maternelle de Marie qui a veillé sur la croissance de Jésus (de son corps) et sur la croissance de l’Eglise, (corps du Christ), vous porterez un soin particulier à la communion des fidèles entre eux pour qu’ils forment un seul corps, dans la diversité de leurs charismes et de leurs vocations.
Vous célèbrerez avec dignité et respect le mystère eucharistique, comme Jésus nous fait don de son corps et de son sang.
Vous accueillerez avec compassion les blessés de la vie, ceux dont les corps sont meurtris par la faim, la maladie, la vieillesse ou un handicap. Comme le dit St Jean Chrysostome ” Tu veux honorer le corps du Christ. Ne le méprise pas quand il est nu “, en leur faisant découvrir que leurs corps fragilisés sont des tabernacles d’une présence.
Vous encouragerez ceux dont les corps sont soumis au pouvoir du péché en leur proposant la miséricorde de Dieu par le sacrement de la réconciliation.
Vous rappellerez aux familles en deuil que nos corps sont appelés à la résurrection et à entrer dans la gloire de Dieu.

3) Marie nous enseigne un autre chemin : Une pédagogie du temps.
Le temps est une denrée rare. Rappelons-nous le mythe de Chronos dévorant ses enfants. Comment gérer le temps qui est le nôtre ? Certains se figent dans la nostalgie du passé révolu. C’est le culte idéalisé du passé : culture des musées, des antiquités, des recherches généalogiques. On cherche ses racines.
D’autres croquent et gaspillent le temps présent. C’est l’instinct de l’instant. Soumis à la pulsion consumériste et jouissive de l’instant, jusqu’à en devenir agressive. On ne prend plus le temps d’habiter l’instant présent.
D’autres enfin, fuient dans l’avenir, fuite technologique en espérant trouver dans les progrès de la science la résolution de nos problèmes d’aujourd’hui, fuite ésotérique en consultant les devins et les gourous de tout poil pour nous prédire le futur.

La méditation de la vie de Marie propose une thérapie précieuse par rapport à toutes ces dérives et à notre inaptitude à vivre pleinement le temps dans toute son épaisseur.

” Marie retenait toutes ces choses en son cœur “, note St Luc. Elle nous apprend à faire mémoire. Sa vie se rapporte à une histoire, celle de Dieu avec les hommes. ” Il se souvient de son amour et de la promesse faite à son peuple Israël ! “, chante le Magnificat. Sa foi est narrative.

Marie est aussi la femme de l’aujourd’hui. Elle vit l’instant présent. L’ange Gabriel la trouvera immédiatement disposée à l’aventure de la foi.

Enfin, Marie est mère de l’espérance et l’Eglise célèbre, le jour de l’Assomption, son entrée triomphale dans la gloire de son Fils. Grâce à Marie, nous savons que notre humanité s’achève en Dieu.

Jean-Denis, Jean-Grégoire, Pierre-Emmanuel, cette pédagogie de Marie éclairera votre ministère presbytéral et diaconal.
Vous ferez mémoire du Christ dans la célébration des sacrements qui en actualisent sa présence.
Vous serez les témoins de l’actualité de Dieu auprès de tous ceux qui pensent que Dieu est une affaire passée et dépassée Vous leur enseignerez que l’Evangile, proclamé il y a 2000 ans, se conjugue au présent de notre histoire

Et dans notre monde sans horizon et sans boussole, vous serez les éveilleurs d’espérance.
Notre monde n’est voué ni à sa perte ni au chaos, mais à la gloire de Dieu (vous serez auprès des jeunes, qui portent l’avenir de l’Eglise et du monde, les hérauts de cette espérance théologale)

Jean-Denis, Jean-Grégoire, Pierre-Emmanuel, vous aurez à sanctifier le temps par la prière de l’Eglise qui vous est confiée, par la récitation assidue de l’office des heures.
Vous apprendrez aux fidèles la valeur inestimable du Jour du Seigneur, qui marque une circoncision dans nos agendas surchargés, afin de rapporter au Christ ressuscité le fruit de notre labeur et de nos fidélités.
En contemplant la vie de Pierre, vous enseignerez aux hommes imprégnés de la culture du zapping, du kleenex et de la mode, à résister à la tentation du tout tout de suite. Ce n’est pas en tirant sur l’herbe qu’elle pousse. Marie nous apprend le prix des germinations intérieures et des conversions successives, le prix de l’engagement dans la durée, dans la persévérance et dans la fidélité.

4) Marie trace enfin pour vous une autre route
Elle est ” l’icône parfaite de la maternité de l’Eglise ” (Redemptoris Mater). Par sa maternité, Marie vous rappelle votre devoir de paternité. La maternité, comme la paternité, consiste à engendrer les hommes à la foi. C’est la mission que l’Eglise vous confie. Le prêtre n’est pas d’abord un annonceur ou un diffuseur, un exégète ou un théologien, un animateur de communauté. Il est d’abord un père. Sa paternité se réfère au Christ. Il ne tient pas la place du Christ (comme si celui-ci était absent), mais il manifeste sa présence. Il manifeste la paternité du Christ, paternité compatissante et miséricordieuse.

Marie a reçu une double maternité :
– une maternité à l’égard de Jésus
– une maternité à l’égard de l’Eglise.

A l’instar de Marie, le prêtre reçoit une double paternité : individuelle et collective.
– Paternité à l’égard de chaque âme qui lui est confiée. Le Bon Pasteur connaît chacune de ses brebis et l’appelle par son nom.
– Paternité à l’égard de la communauté chrétienne qu’il rassemble au nom du Christ pour qu’elle s’édifie en peuple saint et en sacrement du salut pour le monde.

Jean-Denis, Jean-Grégoire, Pierre-Emmanuel, vous apprendrez de Marie que toute fécondité se paie par le don de soi jusqu’à l’oubli de soi. C’est en mourant à la Croix à sa maternité humaine vis-à-vis de Jésus, que Marie reçoit de son fils une autre maternité, à l’égard de Jean et à l’égard de l’Eglise : ” Mère, voici ton Fils “. C’est en donnant sa vie par l’offrande de son Fils, qu’elle est appelée à donner la vie.

Vous vous rappellerez la parole de Jésus : ” si le grain tombé en terre ne meurt, il ne peut pas porter de fruit “. La fécondité de votre ministère passera par le don eucharistique de votre vie. Dieu fera grand, à la mesure (ou plutôt à la démesure) de votre disponibilité à le suivre et à vous laisser saisir par Lui.

Vous êtes envoyés à un monde obsédé par la recherche optimale de l’efficacité, comme pour compenser ses stérilités morales et spirituelles et son rapport mortifère à la vie.

Dans notre culture de mort, vous lui rappellerez la grandeur et la beauté de la vie, son caractère sacré et inaliénable, le sens de la vie donnée pour le service de vos frères. Vous lui apprendrez la grammaire de la vie, son mode d’emploi, la sagesse de la vie, et combien et comment la foi en Jésus Christ vient irradier, transformer, renouveler notre vie humaine pour lui donner de participer à la vie même de Dieu. Vous aiderez vos contemporains à opérer un discernement et à faire des choix de vie, qui sont des choix de fécondité.
Soyez pour vos frères et sœurs, des pères.


En explorant avec vous et sous la conduite de Marie, ces quelques points, prenez conscience de l’actualité et de la pertinence du message que la Vierge vous transmet.

Jean-Denis, Jean-Grégoire, Pierre-Emmanuel, Marie nous tire en avant sur la route de l’Evangile. Comme elle l’a elle-même expérimenté, vous découvrirez combien le Seigneur se sert sans doute de vos capacités et de vos vertus, mais tout autant de vos fragilités, que vous lui présentez, pour faire sourdre en elles sa grâce. Vous êtes remis en ce jour à la joie de Marie : joie d’être au Christ et joie de le porter au monde. Cette joie éclatera à travers les épreuves, les difficultés et vos propres limites. Elle sera votre héritage car c’est la joie même de Dieu : joie de se donner pour que le monde ait la Vie ! Joie, comme l’a promis Jésus, ” que personne ne vous ravira ! “.

+ Dominique Rey
Aubazine, le 30/08/2003

Publié le 09.09.2003.

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