Le Saint Curé d’Ars, une sainteté de combat

Le 26 septembre 2009, monseigneur Dominique Rey a ordonné deux nouveaux prêtres à la cathédrale de Toulon (Eloi Gillet et Marc de Saint-Sernin)

Voici l’intégralité de l’homélie prononcée.

Notez que cette homélie ne peut être reproduite ou reprise même partiellement sans autorisation préalable : merci de respecter cette consigne.

Au cours de cette année sacerdotale, le pape Benoît XVI nous invite à contempler le visage et le message de St Jean-Marie Vianney, Curé d’Ars.

« Dieu veut nous communiquer sa sainteté », dit l’épitre aux Hébreux. C’est dans cette intention que l’Eglise nous propose de considérer la vie de celles et de ceux, comme le Curé d’Ars, qui rayonnent de la lumière divine. Chez Saint Jean-Marie Vianney, cette lumière a été sculptée dans le combat spirituel. Le curé d’Ars nous invite à une sainteté de combat. Sa sainteté ne fut pas la recherche d’un accomplissement de soi qu’il se serait donné, mais un vide que Dieu a rempli de sa plénitude.

« On ne peut se décider à être un saint sans qu’il en coûte beaucoup de renonciations, de tentations, de persécutions, de toutes sortes de sacrifices » disait Mère Térésa. Elle ne faisait qu’emboîter le pas aux propos du Saint Curé que relevait un de ses des auditeurs attentifs: « Un chrétien doit être toujours prêt au combat. Ce sont nos combats qui nous obtiendront le ciel. Tous les soldats sont bons en garnison. C’est sur le champ de bataille que l’on fait la différence entre les courageux et les lâches ». Et il ajoutait : « La pire des tentations, c’est de n’en point avoir. La croix, c’est l’échelle du ciel. »

Ces exhortations sont en décalage avec les discours lénifiants et infantilisants que diffuse notre société de consommation qui prône une culture du plaisir, du bien-être et du confort. Il s’agit d’éviter les aspérités de la vie, de se prémunir de façon obsessionnelle contre les risques, de se sécuriser en tout et de limiter au maximum l’effort et la discipline.

Jean-Marie Vianney ne fait que reprendre à son compte les recommandations que l’apôtre Paul adresse à son disciple Timothée : « Pour toi, homme de Dieu… combats le beau combat de la foi, conquiers la vie éternelle à laquelle tu as été appelé » (1 Tim 6,12).

Dans la vie du Curé, il y a une pédagogie du courage spirituel. Les multiples épreuves endurées, les souffrances morales, la jalousie des confrères, les incompréhensions, les calomnies et les dénonciations, la lutte acharnée qu’il livre contre le Grappin, et contre lui-même, font ressortir en contrepoint sa grandeur d’âme, ses vertus morales, son désir de Dieu, mais aussi les priorités pastorales où il avait placé son cœur.

Aujourd’hui encore, cette lutte doit instruire chaque prêtre sur les lieux où le combat se joue et les champs de bataille où le Seigneur nous fixe rendez-vous.


1 – D’abord ne jamais douter de l’appel de Dieu. À plusieurs reprises, le Curé d’Ars fut tenté de quitter sa paroisse, d’abandonner son poste : « Mon Dieu, que le temps me dure avec les pécheurs ! Quand donc serai-je avec les saints ? »

« Aucun prêtre autant que lui n’aura été torturé par la tentation du désespoir », dira de lui un de ses biographes. « A contempler le Curé d’Ars souriant parmi la foule des pèlerins, personne, en dehors de ses familiers les plus intimes, n’aurait soupçonné qu’il était sans cesse poursuivi du désir de la solitude », dira son confesseur au procès de canonisation.

Face à toutes les tentations de démission et de désespérance, le Seigneur appelle chaque prêtre à retrouver jour après jour la grâce de son premier appel, la source originelle de sa vocation, que le sacrement de l’ordination a scellée de façon indélébile en son âme et en sa chair. Jean-Marie Vianney disait encore : « Si on avait la foi, on verrait Dieu caché dans le prêtre, comme une lumière derrière un verre, comme le vin mêlé à l’eau… Le sacrement de l’ordre élève l’homme jusqu’à Dieu…. Que le prêtre est quelque chose de grand. S’il le comprenait, il mourrait ».

Le combat du curé d’Ars fut celui de la fidélité, c’est-à-dire durer dans le don de soi jusqu’au bout sans se reprendre, alors qu’il était tenté par le sentiment d’échec ou d’inutilité, alors qu’il avait projeté sur lui-même ou sur son ministère des espérances qui se sont transformées en illusions.

Un jour, le Curé d’Ars, désespéré, veut adresser à un évêque une lettre qui lui aurait demandé d’être déchargé de ses ennuis. Au moment de la signer, il la déchire en disant : « C’est aujourd’hui, vendredi, le jour où Notre Seigneur a porté sa croix. Il faut que je porte la mienne ». Il ajoutait : « Toutes mes misères viennent de ce que nous n’aimons pas la croix. C’est la crainte de la croix qui augmente nos croix ».

2 – La vie du Saint Curé nous invite à découvrir un autre lieu de combat pour le prêtre : être fidèle à ses engagements sacerdotaux. Chaque prêtre renouvelle ceux-ci au cours de la Messe chrismale : engagement au célibat, obéissance à son évêque, volonté de se sanctifier en sanctifiant sans relâche le peuple qui lui est confié, par l’annonce de la Parole, la célébration des sacrements, le gouvernement d’une communauté dont il doit être le bon pasteur, donnant sa vie pour celles et ceux que le Christ lui a confiés. Accepter la frugalité et la simplicité de vie dans un contexte qui prône l’hédonisme et le matérialisme. Maîtriser son affectivité dans une ambiance propice au sensualisme et qui distille par la pub et les médias des formes dégradées et compulsives de sexualité. Etre facteur de la communion dans un monde d’individualisme narcissique en sachant que l’unité ne se construit ni en flattant l’ego de chacun et en négociant sans cesse les compromis, ni en rabaissant l’exigence de la sainteté à laquelle Dieu nous appelle tous. Faire aimer l’Eglise au delà des contre-exemples de ses fidèles et de ses ministres. Porter le message de vérité que le Christ nous a confié alors que nos contemporains, sceptiques et relativistes, se méfient du dogmatisme et de toute forme d’autorité. Bref, être homme de Dieu au milieu de tant d’hommes qui vivent sans Dieu, relèverait de la gageure, sans doute de l’héroïsme, si la grâce de Dieu nous faisait défaut.

Saint Jean-Marie Vianney a marché toute sa vie sur cette ligne de crête. Pauvre, il le fut. Un jour, ses confrères compatissants lui avaient offert des chaussures : « Etes-vous satisfait du cadeau ? » Et lui de répondre : « Oh oui, j’en ai fait un bon usage ». En vérité, à peine reçu, Jean-Marie Vianney avait offert le cadeau à un pauvre hère rencontré au bord de la route. Le saint prêtre vivait misérablement.

Pauvre, il le fut. Chaste, aussi, assurément. Pudique en tout cas. L’un de ses pénitents confiait : « Son premier coup d’œil nous pénétrait jusqu’au bout de l’âme. Puis, ensuite, son regard nous quittait ». Il eût été sans doute trop pénétrant pour être supportable.

Pour un chrétien, « l’obéissance, disait Jean Paul II, c’est le nouveau nom de l’amour. » Pour Jean-Marie Vianney, obéir relevait d’une exigence interne de son sacerdoce. Comment ne pas noter ici ses paroles lors d’un conflit l’opposant à la curie diocésaine à propos de l’œuvre de la Providence : « Je n’y vois pas la volonté de Dieu, mais si Monseigneur l’y voit, nous n’avons qu’à obéir. »

Catherine Lassagne, qui lui était dévouée, disait qu’il était resté dans la paroisse d’Ars résidant 41 ans, toujours contre sa volonté. Simplement par obéissance. Il n’a pas choisi son ministère, négocié son exercice, conditionné son « oui », revendiqué une tâche particulière ou une promotion. Son cœur était pur de toute recherche de soi, libre de tout calcul.

En tout, Jean-Marie Vianney se sanctifiait pour être plus apte à sanctifier les autres.

3 – Une troisième bataille que le prêtre doit livrer : c’est le danger de la dispersion, l’éparpillement. On attend beaucoup d’un prêtre, parfois trop. Si la charité le « presse », pour reprendre l’expression de l’apôtre Paul, son empressement peut conduire à l’activisme. A force d’être sur tous les fronts, de répondre à toutes les sollicitations sans les hiérarchiser, sous couvert de générosité, on construit vite sur le sable du volontarisme et du pélagianisme.

Le Saint Curé comptait d’abord sur la grâce de Dieu, sur le primat de la grâce par rapport à toute contribution humaine. Il était un priant. Il vivait avant tout l’union à Dieu. « Etre à Dieu, être à Dieu tout entier, être à Dieu sans partage, le corps à Dieu, l’âme à Dieu. Etre aimé de Dieu, être uni à Dieu, vivre en la présence de Dieu, vivre pour Dieu, Oh, que c’est beau ! », s’exclamait-il. Tel était le secret de son intériorité et de sa fécondité. Tout son agir pastoral n’était que le débordement par excès de la fulgurance de l’Amour qu’il éprouvait d’abord au dedans de lui-même et qu’il cultivait par une prière assidue et fervente. « La prière était l’âme de sa vie » (Jean-Paul II).

« Allons mon âme, tu vas converser avec le Bon Dieu, travailler avec lui, marcher avec lui. Tu travailleras mais il bénira ton travail. Tu marcheras, mais il bénira tes pas. Tu souffriras, mais il bénira tes larmes», se disait à lui-même le Saint Curé.

Prière pour lui-même, pour sa sanctification personnelle, prière pour sa charge, mais surtout prière pour les âmes que le Seigneur lui avait confiées. Prière pour le monde. Le pasteur qu’il était se sentait responsable du cours des événements, partie prenante du salut de tous.

C’est à partir de cette unité intérieure que se façonnait la cohérence de sa pastorale. St Jean-Marie Vianney s’est sanctifié dans l’exercice d’une pastorale ordinaire. De 1818 à 1859, on est surpris par la quantité, la qualité, la variété et la permanence de son travail apostolique. En réalité, celui-ci se résumait en 3 volets : – connaissance personnelle et contact direct avec les gens – éducation de la foi par une catéchèse permanente en vue d’une purification des consciences – prière et vie sacramentelle. Ces 3 volets dessinent l’essentiel de tout ministère presbytéral : donner Jésus, signifier sa miséricorde, se rendre accessible à tous. Tout le reste était pour le curé d’Ars superflu, accessoire, insignifiant.

Très vite, les gens d’Ars ont constaté qu’on leur avait envoyé quelqu’un qui s’occupait d’eux. Il se tenait à leur disposition. Il les visitait. Il prenait le temps de les écouter. Il ne se contentait pas de rencontrer ceux qui l’appelaient, mais il se présentait aussi à l’improviste, chez tous. Il parlait de tout avec les gens. Il leur parlait d’abord de Dieu. Et eux comprenaient que si leur curé les aimait, c’était parce que lui-même aimait Dieu sans compter. Il les aimait en Dieu. Il les aimait en raison de ce que Dieu voulait faire en chacun d’eux. Et cette charité pastorale a ouvert tant de cœurs endurcis et rebelles !

4 – Quatrième combat : l’esprit missionnaire

« Il faut travailler en ce monde. Il faut combattre. On aura bien le temps de se reposer toute l’éternité », répétait à l’envi le Saint Curé. Il n’avait rien d’un gestionnaire bureaucrate. Il ne se contentait pas d’une gestion administrative routinière de sa paroisse. Il vivait l’Evangile sans transiger. Il se dépensait sans compter. Et son ardeur pastorale témoignait de la radicalité de son adhésion au Christ. Pour lui, l’Evangile était un feu. Et sa hâte était de communiquer l’incendie. « Il n’y a que le premier pas qui coûte sur le chemin de l’abnégation. Une fois qu’on y est entré, ça va tout seul. Quand on a cette vertu de l’abnégation, on a tout ».

En particulier, il puisait dans l’Eucharistie qu’il célébrait quotidiennement avec tant de ferveur, la force du don de soi jusqu’à l’épuisement, jusqu’à l’évidement de soi. Et cette sainte kénose formait le calice où il recueillait humblement la miséricorde de Dieu. En brandissant l’hostie consacrée, il clamait jusqu’aux larmes : « Il est là, il est là ». Chaque Messe était pour le Curé d’Ars la célébration de l’ardent amour trinitaire. Elle avivait sa soif de Dieu et sa soif du salut des âmes.

Dans un siècle de sentimentalisme exacerbé et d’hégémonie de l’émotionnel, la foi de Jean-Marie Vianney se situe à front renversé. Elle assume les contraintes de la vie et de notre humanité. Elle ne s’arrête pas au ressenti. Elle cherche l’adhésion, la ferme adhésion au Christ. Elle puise dans la fidélité au Maître la force de sa propre fidélité, jusqu’à faire sienne sa mission. Telle est la foi du prêtre. Il la professe à la fin de la consécration : « Il est grand le mystère de la foi ». Cette foi intense, eucharistique, ecclésiale, le Curé d’Ars l’approfondissait sans cesse (car, malgré les ragots, le Curé d’Ars n’était pas un inculte ni un analphabète. Sa bibliothèque comptait plusieurs centaines d’ouvrages qu’il consultait régulièrement). Sa foi était le levier de son action pastorale et de son rayonnement. Et ses paroissiens s’appuyaient sur la vie théologale de leur pasteur.

Le zèle missionnaire du Curé d’Ars justifiait le sacrifice total de sa vie à Dieu. « Je complète en ma chair, ce qui manque aux épreuves du Christ pour son corps qui est l’Eglise » disait l’apôtre Paul. Après 10 heures par jour, parfois 15 heures passées au confessionnal, dévoré par le désir d’arracher ses fidèles à leur péché ou à leur tiédeur, Jean Marie Vianney s’écriait : « O mon Dieu, accordez-moi la conversion de ma paroisse. Je consens à souffrir ce que vous voudrez, tout le temps de ma vie ».

L’esprit missionnaire du Curé d’Ars était marqué par une extraordinaire docilité à l’Esprit-Saint. L’Esprit emprunte le chemin des surprises et des contingences pour faire lever la moisson. La fécondité de son ministère, l’efficacité de sa prédication, la finesse de son discernement, provenaient ultimement de ce que constamment, et par une disponibilité totale à Dieu et aux hommes, le Saint Curé se laissait guider par l’Esprit-Saint. Avec un langage savoureux et toujours imagé, il disait des vérités tellement profondes : « comme ces lunettes qui grossissent les objets, le Saint Esprit nous fait voir le bien et le mal en grand. Avec le Saint Esprit, on voit tout en grand : on voit la grandeur des moindres actions faites pour Dieu, et la grandeur des moindres fautes. Avec les lunettes du Saint-Esprit, nous distinguons tous les détails de notre pauvre vie. »

Cher Eloi et cher Marc, c’est bien le « oui » à Dieu du Curé d’Ars que vous allez prononcer. En ce jour de grâce, que la sainteté du Curé d’Ars vous touche de plein fouet, dans toute sa pureté et dans toute son intensité. Configurés au Christ Bon Pasteur, tête de son Corps qu’est l’Eglise, puissiez-vous comme lui, et à partir de ce jour, être tout donnés à Dieu pour être tout à vos frères jusqu’au terme de votre vie !

Monseigneur Dominique Rey

26 septembre 2009

Notre Dame de la Seds

Publié le 29.09.2009.

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