Un sacerdoce au service du pauvre, du petit… et des ennemis

Voici l’homélie de Mgr Dominique Rey prononcée lors de la messe chrismale, le 17 mars 2008 en la cathédrale de Toulon.

De tous les points du diocèse, prêtres, diacres et laïcs avaient fait le déplacement pour participer à ce temps fort de la semaine sainte. Mgr Jean Bonfils, évêque émérite de Nice, était présent ainsi que l’abbé de Lérins.

Cette liturgie très riche au cours de laquelle l’évêque bénit l’huile des malades et celle des catéchumènes puis consacre le Saint Chrême, rassemble les prêtres du presbyterium invités à renouveler leurs engagements sacerdotaux.


« Dans quelques instants, tous les prêtres du presbyterium [ Les prêtres sont établis dans l’Ordre du presbytérat pour être les coopérateurs de l’ordre épiscopal (9) dans l’accomplissement de la mission apostolique confiée par le Christ. – Décret sur le ministère et la vie des prêtres « [Presbyterium ordinis » du 7 décembre 1965]]
vont être invités à renouveler leurs engagements sacerdotaux. Configurés au Christ Bon Pasteur, ils vont réitérer leur volonté de servir le peuple que je leur ai confié, à la manière des apôtres.
Qui vont-ils servir ?

Je voudrais souligner les figures d’Evangile, les « trois publics » qui constituent ce peuple auquel ils sont envoyés.

1ère figure : le pauvre

Jésus est venu « annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres » (Luc 4,18). Il reprend à son compte la prophétie messianique d’Isaïe (61, 1-2).

Oui, les pauvres se pressent au passage de Jésus : infirmes et malades, blessés de la vie et de l’amour, exclus et marginaux de son temps. Ils quémandent tous son intervention, au point que Marc rapporte qu’il est littéralement assailli « jusqu’à ne plus pouvoir manger » (3,30). « Tout le monde te cherche » lui disent ses disciples.
Oui, c’est une constante dans l’Evangile, lorsqu’ils se rapprochent de Jésus, les hommes et les femmes, ne montrent pas le versant lumineux de leur existence, mais la face obscure et fragile. Au contact de Jésus, la foule des pécheurs et la foule des malheureux, ceux qui commettent volontairement le mal et ceux qui le subissent, bénéficient alors d’un accueil, d’une écoute, d’une compassion, d’une espérance qui les redresse, les relance, à tel point qu’ils en seront pour toujours marqués. Ils ne se remettront jamais de cette rencontre avec le Christ. Grâce à lui, le salut de Dieu a traversé leur vie.

Mais, cette proximité vécue avec Jésus ne relève pas uniquement du registre compassionnel ou de l’éthique de la solidarité. Cette proximité est d’ordre théologal. Cette amitié du Christ manifeste le vrai visage de Dieu. Car la question des pauvres est intérieure à la question de Dieu, à tel point que Jésus, en sa Passion, viendra épouser la condition des rejetés et des déshérités. Tout au cours de cette semaine sainte, la contemplation du Christ défiguré, insulté, outragé dans un simulacre de procès, initiera les siens à découvrir « le cœur de Dieu« , à pénétrer dans ses entrailles de miséricorde, à méditer jusqu’où et combien Dieu nous a aimés, en livrant son Fils pour notre salut. En définitive, la communion du Christ avec les pauvres nous révèle la miséricorde de Dieu.

Car qu’est-ce que le pauvre ? Dans les écritures, le pauvre n’est pas celui qui n’a rien. Mais celui qui, parce qu’il n’a rien, qu’il soit pécheur ou indigent, privé de la grâce ou privé de biens, s’en remet à Dieu. Celui qui attend tout de Dieu : « L’homme est un pauvre qui a besoin de tout demander à Dieu » disait le Curé d’Ars.

Chers frères prêtres,

Nous accueillons tant d’hommes et de femmes qui nous confient l’âpreté de leur vie, des démunis de toutes sortes (démunis d’argent, de travail, de logement, d’affection),
nous côtoyons de près la souffrance des exclus et celle des pénitents,
toutes ces pauvretés aux multiples visages, que nous rencontrons dans l’exercice quotidien de notre ministère, nous enseignent à notre tour à dépendre nous-mêmes de Dieu. Ces pauvretés nous invitent à notre tour à nous appauvrir. Il ne s’agit pas de sombrer dans le misérabilisme, ni de faire sauter les sécurités qui nous sont indispensables.

Mais, l’esprit de pauvreté évangélique nous invite, à la manière des apôtres, à composer avec la précarité de nos moyens et la modestie de nos ressources, à accepter nos propres limites, qu’elles soient personnelles, communautaires ou ecclésiales, alors que nous buttons sur celles des autres.

L’esprit de pauvreté nous conduit encore à vivre une juste chasteté dans nos relations, à vivre les détachements nécessaires par rapport à une mission qui ne nous appartient pas, mais qui est celle confiée par l’Eglise, et pour une œuvre qui n’est pas taillée à notre mesure, car c’est l’œuvre de Dieu. Elle nous dépasse de toutes parts.

Je rencontrais récemment un prêtre de notre diocèse. Très âgé, il demeure depuis plusieurs mois cloué sur un lit d’hôpital. Il me faisait cette confidence. Je l’ai notée : «~Au terme de ma vie sacerdotale, me disait-il, j’ai découvert que Dieu s’est servi d’un pauvre. Il m’a privé peu à peu de ce qui n’était pas indispensable. Je suis ramené à l’essentiel, à la grâce de mon 1er appel, au sacrifice de ma vie, à l’eucharistie… J’ai découvert que cette parole de Jésus ~ »Je ne suis pas venu pour les bien portants, mais pour les malades. » s’appliquait d’abord à moi-même. »

2ème figure d’humanité à laquelle nous sommes envoyés : l’enfant


Jésus s’est fait petit enfant. Jésus bénissait les enfants. Il les présentait comme un modèle de vie chrétienne : « Si vous ne devenez pas comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu« .

Cette injonction de Jésus s’adresse à ceux qui se croient « mature » avec tout ce que cela signifie de suffisance et d’autonomie.

Chers frères, si l’on nous attribue le beau nom de «  père « , c’est que nous sommes appelés, non seulement à nous occuper des enfants (notamment par la catéchèse), mais aussi à faire redécouvrir, surtout aux adultes, la grâce de l’enfance.

Qu’est-ce que la grâce de l’enfance ?
Ce n’est ni l’infantilisme, ni la naïveté du candide, mais la joie de la reliance à Dieu, l’émerveillement pour le don de la vie, la gratitude face à sa sollicitude paternelle pour chaque être, quelle que soit son histoire.

La grâce de l’enfance, c’est l’espérance ! L’enfant ne réveille pas simplement l’amour dans un cœur blessé ou blasé, mais il fait jaillir cette conviction intime que rien n’est encore joué, que tout peut repartir, que tout reste à faire… A son contact, on se reprend à croire que la pesanteur de notre cœur n’est pas inexorable. L’esprit d’enfance nous guérit de la résignation.

Oui, le prêtre a partie liée avec l’enfance. Il est témoin d’une espérance pour notre monde. « Nous avons besoin des espérances, des plus petites aux plus grandes, qui, au jour le jour, nous maintiennent en chemin. Mais sans la grande espérance, qui doit dépasser tout le reste, elles ne suffisent pas. Cette grande espérance ne peut être que Dieu seul… Dieu est le fondement de l’espérance, ce Dieu qui possède un visage humain et qui nous a aimés jusqu’au bout ». C’est en ces termes que Benoît XVI, dans sa dernière encyclique « Sauvés dans l’espérance«  définit notre tâche à tous.

En exerçant, au nom du Christ, sa paternité envers tous, le prêtre a pour vocation de faire entrer dans l’espérance chaque être humain. D’en faire un enfant de Dieu. D’enfanter des fils dans le Fils, en aidant chacun à se recevoir de Dieu, et à se laisser éduquer par Lui.

En témoignant de l’espérance théologale, le prêtre doit aussi espérer pour lui-même. Le pape Jean-Paul II demandait aux prêtres « de croire en leur ministère« , c’est-à-dire de croire en leur paternité spirituelle qui relève non pas de la logique de la performance, mais de la logique de la fécondité et de l’engendrement. Si le prêtre est comptable des ressources modestes dont il dispose, il ne sera jamais redevable des succès escomptés. Ceux-ci relèvent en premier lieu de la puissance de l’Esprit.

3ème figure : les ennemis


Dès le début de son ministère, Jésus rencontre l’Ennemi au désert de Judée. Il en parlera plus tard dans ses paraboles. Il le croisera dans l’apostrophe que Pierre lui adresse en refusant la croix « Arrière de moi, Satan ! » lui répond-il. Le Christ affronte encore le Mauvais dans le cri de ces possédés qu’il exorcise sur sa route. Il le trouve enfin en sa Passion.

Sans risquer de spiritualiser à outrance nos fatigues et nos résistances liées au notre ministère, comment le prêtre pourrait-il s’exonérer des batailles que Jésus lui-même a livrées tout au cours de sa vie publique ? Il nous a prévenus : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme ; craignez bien plutôt celui qui peut faire périr âme et corps dans la géhenne. » (Mt 10, 28).

A la suite du Maître, chaque prêtre est plongé dans un combat spirituel. Parfois, à craindre de voir le diable partout, on sera tenté de le voir nulle part. Les tentations du prêtre sont celles de tout le monde. La grâce sacerdotale s’exerce à l’intérieur d’une fraternité baptismale dont elle n’est pas une sortie, mais un service. Comme tout chrétien, le prêtre aura à vivre lui aussi le combat de la fidélité : fidélité à ses engagements, fidélité à sa mission. Il aura à subir l’épreuve du découragement et du renoncement. Il pourra être présomptueux ou au contraire se désespérer en raison de l’aridité du terrain et du manque de réponses.

Le combat contre le Mal nous convoque aussi sur les lieux qui souffrent violence et injustice. L’Evangile nous assigne le devoir d’y demeurer. Jésus n’a pas fui la bataille. Il y a laissé « sa peau ». En vérité, seul lui résistera l’hypocrisie des scribes et des Pharisiens que l’obsession de la vertu rendit imperméables. Leur cœur s’était endurci. Point de salut pour qui ne manque de rien. Celui qui pense ne pas être tombé ne sera jamais ramassé. L’Evangile est sans prise sur le satisfait ou le parvenu.
Malraux disait du prêtre qu’il est « l’homme des relations profondes« . Dans un contexte de confusion et de superficialité, plus que jamais, par sa vie intérieure et par sa culture spirituelle et théologique, le prêtre doit aider ses contemporains à discerner ces « relations profondes » et s’engager sans lâcheté dans les vrais combats de notre temps : ceux de la dignité de la personne humaine, du respect de la vie depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle, ceux de la solidarité envers les petits de ce monde. Ses armes sont la prière, l’ascèse et la foi.

La Passion du Christ a été le modèle le plus achevé de sa prédication. Cette semaine sainte nous invite nous aussi à faire entrer de plain pied notre vie et notre ministère dans la Passion du Christ. Renonçant à toutes représailles, Jésus y expose le versant désarmé de son infini amour.

Face à son destin, le combat de Jésus en son agonie fut de douter de l’utilité de son sacrifice, comme si le Tentateur susurrait à ses oreilles « Cet homme, dont tu éprouves dans ton humanité, toute la fragilité, vaut-il la peine d’être sauvé ? ». Le désintérêt des apôtres et leur incompréhension, la trahison de Judas, le reniement de Pierre lui suggérèrent l’idée d’une indifférence, voire d’un mépris vis-à-vis de son offrande. La prière à son Père « Que ce calice s’éloigne de moi« , semblait inexaucée.
A Gethsémani, toute la supplication du Fils s’achèvera par un acte d’abandon à la volonté de Dieu « Père, que ta volonté soit faite !« . L’échec apparent se fait abandon filial.

Chers frères, face à toutes les formes de déception et d’oppositions, en ces jours très saints, la liturgie nous achemine en direction de cette confiance absolue. Celle que Jésus murmure du haut de la croix : «  En tes mains, Père, je remets mon Esprit » . Cette confiance est le lieu de notre sainteté, de notre joie, de notre fécondité. Elle fut le lieu de la victoire de l’Amour crucifié.

En parlant du sacerdoce ministériel, le pape Benoît XVI déclarait, il y a peu, au séminaire du Latran : « S’il peut sembler que la vie du prêtre ne suscite pas l’intérêt de la majorité des gens, en réalité, il s’agit de l’aventure la plus intéressante et la plus nécessaire pour le monde. L’aventure de montrer et de rendre présente la plénitude de la vie à laquelle nous aspirons tous. C’est une aventure très exigeante ; et il ne pourrait pas en être autrement, parce que le prêtre est appelé à imiter Jésus, qui n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et pour donner sa vie en rançon pour la multitude » (Discours de Benoît XVI au séminaire du Latran).

Publié le 18.03.2008.

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