Sainte Marie-Madeleine : une seule ou trois personnes ?
En avant-première et avant même sa publication dans le mensuel diocésain, Eglise de Fréjus-Toulon, découvrez sainte Marie-Madeleine, patronne principale du diocèse,
par le père Louis Porte, archiviste diocésain, historien.
Je tiens à assurer mes lecteurs que je ne suis pas tiraillé entre les thèses des exégètes et des historiens d’un côté et les tenants des « traditions » de l’autre ; ces traditions ne sont pas dépourvues de sens. Le maître en liturgie et hagiographie qui a composé notre nouveau Missel diocésain écrit : « L’existence d’évêques à Fréjus et à Toulon n’est attestée que depuis les années 374 et 439. Mais le christianisme avait depuis longtemps plongé ses racines sur cette terre et produit ses fruits. La tradition qui a fait venir en Provence, Marie-Madeleine, Marthe, Lazare et d’autres, traduit, à sa manière, l’implantation rapide de la foi chrétienne dans le Sud de la Gaulle. »
Cependant le formulaire de messe composé pour la solennité de Marie-Madeleine le 22 juillet, ne contient que les passages d’évangile où est nommée Marie de Magdala, ce qui est conforme au Missel Romain. Le Missel correspondant du diocèse de Marseille retient les mêmes textes pour le 22 juillet mais joint la mention de Marie de Béthanie à celle de Marthe, les deux sœurs fêtées ensemble le 29 juillet.
Si le pape Grégoire le Grand tenait que Marie-Madeleine et Marie de Béthanie sont un même personnage, et avec lui l’Eglise d’Occident, la très grande majorité des exégètes, aujourd’hui, les distinguent absolument. Le père Marie-Joseph Lagrange lui-même, pionnier de l’exégèse catholique contemporaine, mort en 1938 au couvent dominicain de Saint-Maximin, dont on attend la prochaine béatification, écrit dans son commentaire de l’évangile selon saint Luc (8,2) p.236 : « l’identité de Madeleine avec Marie de Béthanie est tout à fait contraire aux vraisemblances exégétiques, celle de Madeleine avec la pécheresse serait plus conciliable avec les textes. »
Pour les 2 onctions (Lagrange Luc 7, 36 p. 227), depuis Augustin, les exégètes catholiques ont admis la distinction des deux : d’un côté le pardon accordé à une pécheresse, de l’autre, l’acte aimant d’une femme agitée d’un douloureux pressentiment.
Dans ma prière d’octogénaire, peu m’importe que Marie de Magdala soit ou non aussi Marie de Béthanie. Et même aussi la pécheresse à qui beaucoup est pardonné. Veiller sur mon village, en être la patronne comme elle l’est de mon diocèse, qu’aurai-je à perdre si trois femmes assuraient cette bienfaisante mission ?
En Marie-Madeleine, le Seigneur me donne à contempler, à imiter, à invoquer cette femme de Magdala profondément attachée à la personne de Jésus : son rédempteur, celui qui est venu l’arracher à la terrible emprise du démon. Avec d’autres femmes, ses compagnes, elle a suivi et servi Jésus sur les chemins de Terre Sainte. Qu’elle ne cesse de passer son Ciel à prier pour tous les ouvriers de la Mission, particulièrement en cette terre varoise. Qu’elle inspire la générosité de tous les chrétiens pour qu’ils apportent les moyens matériels nécessaires à la Mission. Présente au pied de la Croix, qu’elle soit l’inspiratrice de tous ceux qui, aujourd’hui, accompagnent des frères en fin de vie ; venue au tombeau du Christ Jésus avec d’autres femmes, qu’elle soutienne l’espérance des familles en deuil. Premier témoin et première messagère de la Résurrection auprès des Apôtres, désignée comme « l’Apôtre des Apôtres » que sa prière fasse grandir la foi de tous les Chrétiens au Mystère pascal du Seigneur. Si Marie de Magdala et d’autres femmes ont accompagné Jésus dans sa montée à Jérusalem où il devait vivre le mystère Pascal de mort et de résurrection, Marie de Béthanie, inséparable de sa sœur Marthe et de son frère Lazare, offre à Jésus le gîte d’étape et l’accueil chaleureux apprécié du rabbi itinérant et de la troupe qui l’accompagne. Si Marthe se montre maîtresse de maison, sa sœur Marie représente la figure du disciple : saint Luc a inscrit de nombreux épisodes de la vie de Jésus dans le cadre d’une longue et unique « montée à Jérusalem ». Il nous a raconté comment Jésus arrivant dans un village (qui n’est pas nommé) est reçue dans sa maison par une femme nommée Marthe et sa sœur Marie : attitude contrastée des deux sœurs : tandis que Marthe laisse détourner son attention par un multiple service (diaconie) Marie se tient aux pieds du maître, avec l’attention exemplaire du disciple qui ne veut rien perdre de sa parole. C’est quand Marthe veut entraîner sa sœur dans ses occupations que Jésus la réprimande et prononce la parole bien connue : « Marie a choisi la meilleure part ! » , écouter la Parole afin de la mettre en pratique. Ce n’est pas la pratique que Jésus reproche à Marthe, mais le fait de ne pas commencer par écouter ce que désire le maître. Il n’y a pas d’opposition véritable entre contemplation et action : la parabole qui suit doit nous en convaincre : l’action du Bon Samaritain est chemin de la vie éternelle. Saint Jean nous apprend pour sa part que le village s’appelle Béthanie et que les deux sœurs y vivent avec leur frère Lazare qui est tombé malade : prévenu, Jésus tarde à se déplacer alors que Jean a souligné qu’il les aimait tous trois. Jésus arrive enfin, après la mort de son ami. Sitôt avertie, Marthe vient à sa rencontre et manifeste sa pleine confiance en Jésus et professe sa foi en la Résurrection. Jésus fait appeler Marie restée à la maison avec tout le groupe venu les consoler depuis la proche Jérusalem. Marie accourt à l’appel de Jésus et dans un geste de profond respect, se précipite à ses pieds, en pleurs, disant comme Marthe : « si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort« . Jésus bouleversé par ces larmes pleure à son tour puis tous gagnent le tombeau.
Elle est bien nommée l’association Saint Lazare, fondée dans notre diocèse pour l’accompagnement des familles en deuil : redire la compassion de Jésus, annoncer la Bonne nouvelle de la Résurrection, de la Victoire de Jésus sur la mort. Bien nommée si l’on ajoute tacitement les noms de Marie et Marthe à celui de leur frère, soulignant le rôle de chacune des deux sœurs en deuil. Nous retrouvons peu après dans le même évangile au cours d’un repas, Lazare parmi les convives, Marthe au service lorsque survient Marie oignant les pieds de Jésus : si Judas crie au gaspillage, Jésus reconnaît le pressentiment qui a poussé Marie à ce geste annonciateur de la sépulture après la crucifixion. Quelle était donc la pécheresse anonyme, repentie, auteur d’une semblable onction des pieds du Sauveur : nos traditions font de la « Sainte Baume (grotte) » le lieu d’une longue et austère pénitence, réparatrice de sa vie de péché. Etre apôtre, être disciple, être repentie : autant de manières de vivre un immense amour du même Christ et Seigneur.
Publié le 12.06.2008.
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