Que nous apprend l’objection de conscience massive des médecins italiens ?
Dans un rapport publié en octobre et dont un quotidien suisse vient de se faire l’écho, le ministère de la Santé italien révèle que l’immense majorité des gynécologues du pays se déclarent objecteurs de conscience . Les chiffres sont tels qu’une association transalpine pro-avortement prédit que la loi 194 de 1978 pourrait ne plus être appliquée en Italie d’ici 2016 si les taux d’objecteurs se maintenaient à ces niveaux.
Par Pierre-Olivier Arduin, commission bioéthique de l’Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon
Les statistiques que vient de révéler le Ministère italien de la santé sont éloquentes. Dans plusieurs provinces de l’Italie, on enregistre désormais 85% de spécialistes de la grossesse qui utilisent leur clause de conscience. Dans le Latium et la région de Rome, ce sont même 91% des gynécologues qui refusent de pratiquer des avortements. Comment expliquer que de l’autre côté des Alpes une telle proportion de médecins se déclare objecteurs de conscience ?
Sans donner une réponse exhaustive à cette question, il nous semble que trois explications méritent d’être avancées pour mieux comprendre la situation.
En premier lieu, on peut rappeler que dès l’adoption de la loi dépénalisant l’avortement en 1978, l’Eglise italienne a donné des instructions fortes aux professionnels de santé et a initié auprès d’eux une pastorale dynamique qui ne s’est jamais démentie. Le bienheureux Jean-Paul II lui-même a payé de sa personne pour ne perdre aucune occasion de rencontrer les médecins catholiques italiens. Deux mois après son élection, il les recevait en la fête des saint Innocents :
« C’est pour moi un réconfort de savoir que ces convictions de service de la vie sont profondément enracinées en vous, qu’elles inspirent et orientent quotidiennement votre activité professionnelle et qu’elles savent vous suggérer, lorsque cela est nécessaire, des prises de position claires et sans équivoques, également en public. Comment ne pas mentionner, à ce propos, le témoignage exemplaire que vous avez donné par votre prompte et unanime adhésion aux indications de l’Épiscopat dans la récente et douloureuse question de la législation sur l’avortement ? Par ce témoignage — et je le souligne avec fierté en ma qualité d’évêque de Rome — cette ville s’est particulièrement distinguée, en donnant également aux médecins non catholiques un exemple et un encouragement providentiels et efficaces » (28 décembre 1978). Parce qu’ils venaient d’affirmer publiquement leur droit à la liberté de conscience, Jean-Paul II les félicitait et les encourageait à poursuivre leur résistance sans craindre les discriminations.
La seconde explication tient à la mise en place d’un mouvement laïc de défense de la vie et de la famille qui a su s’organiser efficacement, regroupant des soignants bien sûr, mais également des responsables politiques, des juristes, des universitaires, des hommes et des femmes de culture,… L’un de ses grands mérites est d’avoir toujours cultivé l’unité entre les diverses associations ainsi qu’un dialogue continu avec les pasteurs. Ces caractéristiques expliquent certainement la victoire de l’Eglise italienne à faire échouer le référendum sur la bioéthique en 2005 – permettant ainsi à l’Italie d’avoir une des législations les moins transgressives d’Europe en la matière – ou le succès en 2007 de la grande manifestation populaire nationale dans les rues de Rome pour dire non au Dico, version italienne du Pacs. Les centaines de milliers d’Italiens venus à cette occasion des quatre coins du pays par bus et trains entiers avait obligé le gouvernement Prodi à abandonner son projet de reconnaissance juridique des couples de personnes de même sexe.
Le troisième point qui me semble essentiel à souligner pour comprendre la situation italienne est celui de l’existence de facultés catholiques de médecine dignes de ce nom dont les deux plus importantes sont la prestigieuse Université catholique du Sacré-Cœur et le Campus bio-medico géré par l’Opus dei. Situés tous deux à Rome, ces établissements de renom accueillent un nombre considérable d’étudiants qui se destinent à devenir médecins, scientifiques, sages-femmes ou infirmières. Le cursus proposé comprend, outre les enseignements spécifiquement médicaux et scientifiques conformes aux programmes académiques de l’Union européenne, des cours de bioéthique fidèles aux directives du Magistère catholique. Fait rarissime en Europe, les étudiants ont par exemple la possibilité de bénéficier de formations d’excellence en matière de régulation naturelle des naissances. Une fois leur diplôme en poche, les gynécologues, anesthésistes ou sages-femmes issus de ces facultés font valoir massivement leur clause de conscience pour ne pas pratiquer d’avortement. Ceci explique certainement le taux d’objecteurs de 91% observé à Rome et dans le Latium. Peut-il y avoir objection de la conscience sans formation de la conscience ?
Cette rapide analyse nous montre que l’objection de conscience des médecins italiens n’est pas tombée du ciel. En particulier, le soin attentif de l’Eglise italienne qui n’a pas ménagé sa peine depuis plusieurs décennies pour accompagner les professionnels de santé, la capacité des laïcs catholiques à se mobiliser dans l’unité lorsque la situation l’exige et l’existence d’universités catholiques de médecine de haut niveau délivrant une formation respectueuse de la vie humaine ne sont certainement pas pour rien dans l’explication du phénomène. Sur ce point, les Italiens ont beaucoup à nous apprendre et il y aurait, à n’en pas douter, des leçons importantes à en tirer pour la diffusion d’une nouvelle culture de vie dans notre propre pays.
Publié le 04.12.2012.
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