Mgr Rey : « Rien ne doit justifier la violence »

Mgr Rey : “Rien ne doit justifier la violence”

Homélie de monseigneur Rey prononcée le dimanche 11 janvier lors de la messe dominicale qu’il a présidé à la Cathédrale de Toulon.

« Notre société doit s’interroger sur l’enchainement de ces violences »

« La première réponse à la violence c’est la prière en laquelle nous trouvons la force de ne pas désespérer de nous mêmes ou du monde »


Homélie pour le Baptême du Seigneur

Traumatisme – effroi – sidération – consternation. L’émotion a été à son comble ces derniers jours, face à ces attaques terroristes qui ont frappé des journalistes et des policiers, ceux qui rendent compte de notre liberté, et ceux qui la protègent. Mais aussi nous pensons aux autres victimes innocentes qui se trouvaient par hasard sur les lieux du drame.

La France est en deuil. À Paris, dans toutes les villes de France, et même à travers le monde, de partout des marches silencieuses, recueillies, dignes et déterminées ont été organisées à l’appel des autorités civiles et religieuses pour exprimer à la fois l’indignation face au fanatisme et la volonté de défendre les valeurs démocratiques sur lesquelles repose le pacte social, en particulier la liberté de conscience et la liberté d’expression. Cette insurrection morale qui a mobilisé nos compatriotes dans un raz-de-marée à la fois paisible et impressionnant (4 millions de Français ont défilé) invite nos gouvernements et les médias à ne pas capituler, à ne pas s’endormir face à un fanatisme conquérant et totalitaire qui entretient la haine et veut faire des martyrs.



Il y a le temps de l’émotion, le temps des réactions spontanées, abasourdies devant ces assassinats barbares, quasiment retransmis en direct sur les réseaux sociaux avec les prises d’otages, la course-poursuite des forces de sécurité aux trousses des agresseurs, l’assaut final des forces de l’ordre. Violence scénarisée d’un macabre « thriller » qui tenait le public en haleine et attisait la peur. La France est devenue un immense écran géant pour diffuser en continu, instant après instant, le déroulement du script. Les images qui tournaient en boucle, participaient avec complaisance au déferlement de l’émotion, en exacerbant la tragédie, quitte à se livrer à des amalgames.

Après le temps de l’émotion, vient le temps de la prière. Nous sommes rassemblés aujourd’hui au nom du Seigneur, autour du Seigneur, intercédant pour toutes les victimes de ces atrocités, pour notre pays ensanglanté, meurtri face au terrorisme qui frappe dans d’autres parties du monde, en particulier au Moyen Orient. Je pense notamment à nos frères chrétiens de Syrie et d’Irak persécutés au nom de leur foi. Je pense aussi à ces 2000 chrétiens et musulmans assassinés au Nigéria par Boko Haram.

Face à l’ignominie de ces meurtres abjects, montent en nous ces questions essentielles : Pourquoi en est-on arrivé là ? Où se trouvent les racines et les motifs d’un tel carnage ? Pourquoi au nom de Dieu, attenter à des vies humaines qui en portent l’image ? Pourquoi, en quelque sorte, au nom de Dieu s’en prendre à Dieu ? Dénaturation d’une foi devenue aveugle, d’une foi déroutée, qui a déraillé, qui s’est pervertie, qui est devenue sanguinaire.



Toute violence religieuse est contradictoire en ses termes. Religion vient du latin religere, prendre, réunir. Ici on sépare à jamais, on tue l’autre au lieu de chercher à le servir et à le sauver comme nous y invite l’Évangile.

L’origine de cette violence se trouve dans une interprétation dévoyée de l’islam. Les musulmans sont appelés à un vrai examen de conscience sur ces dérives. Ils doivent se désolidariser d’un islam radical, qui les déshonore et auquel on ne doit pas les identifier.

La violence trouve aussi sa source dans la désocialisation, la marginalisation des jeunes sans repères, en échec familial, scolaire, professionnel qui assouvissent leur rêve adolescentrique de toute-puissance dans le djihadisme, qui règlent leur compte à une société où ils n’ont pas trouvé leur place et qui les laisse sans avenir.

Le philosophe anglais David Hume soulignait que la terreur gagnait des sociétés qui avaient perdu l’enthousiasme collectif. Le relativisme moral et religieux envahit nos sociétés postmodernes où les grandes utopies politiques et idéologiques se sont effondrées, où la place du religieux a été effacée par la perte de transcendance et d’intériorité, où l’individu consumériste n’a plus d’autre horizon que lui-même, rivé à son ego. Un tel relativisme érigé en prêt-à-penser, fait inévitablement le lit du fondamentalisme. Lorsqu’une culture ne donne plus des raisons sublimes de vivre, parce qu’elle a oublié l’héritage ou perdu la mémoire, elle s’en fabrique à partir des instincts les plus bas ou les plus vils. Lorsqu’on ne parvient plus au sein des familles, dans le cadre des institutions éducatives à transmettre ce lent et patient tissage de raison, d’histoire, de culture qui ouvrait à une morale universelle et un vivre ensemble et lorsque la conscience religieuse s’évanouit ou se réduit à un résidu laïcisé…, alors cette société fait sauter, sans toujours s’en rendre compte, la barrière qui fermait la route à la brutalité de la nature, à l’exacerbation des passions, et aux revendications narcissiques.

Il est symptomatique que les terroristes s’en soient pris à un journal satirique réputé pour ses outrages, ses sarcasmes, ses caricatures blasphématoires. « On doit pouvoir rire de tout » avouait fièrement un de ses responsables. Le rire s’est changé en larmes. L’assaut des kalachnikovs a répliqué à l’agression des mots et des images. « Un dessin est un fusil à un coup » disait Cabu. Il vient d’en payer le prix.

En même temps qu’on doit dénoncer le fanatisme religieux, notre société doit s’interroger sur l’enchaînement des violences qui la traversent. Car il est des violences verbales, morales, intellectuelles, artistiques… qui en appellent d’autres. Quand on représente Mahomet sous la forme d’une crotte enturbannée, Benoît XVI en train de sodomiser des enfants, la Vierge Marie les jambes écartées de façon suggestive ; quand on s’adonne à la provocation, à l’obscénité sur ce qui touche la conscience la plus intime, celle de la foi, du sacré, de la symbolique religieuse… Ce nouvel iconoclasme engendre inévitablement par ricochet, et bien sûr, sans jamais les justifier, la revanche, la vengeance, d’autres violences encore plus insoutenables dans un engrenage quasi mécanique, et dont l’actualité nous offre l’horrible spectacle. La sacralisation de la dérision et de l’injure ne peut produire en retour que de la haine.

Dans la prise de conscience nationale que nous devons faire tous ensemble, rien ne peut, rien ne doit justifier la violence d’où qu’elle vienne, quelle qu’elle soit ; que ce soit la violence de ceux qui, par la force, veulent imposer leur foi, où la violence de ceux qui, par le mépris, injurient celle des autres. Mais il faut extirper les causes de ces violences si l’on veut pour l’avenir s’épargner le chaos.

A un journaliste qui m’interrogeait avant-hier « Monseigneur, êtes-vous Charlie ? », J’ai répondu : « laissez-moi d’abord être moi-même, c’est-à-dire chrétien ». Le chrétien n’a pas d’autre point de référence ultime, de ralliement possible, d’identification que Jésus lui-même.

Comment être chrétien en ces circonstances ? L’Évangile du baptême de Jésus nous apporte une réponse. « En remontant de l’eau, Jean vit les cieux se déchirer et l’Esprit descendre sur lui, comme une colombe ». La colombe, figure d’Israël dans le livre des prophètes et dans les psaumes, est le nom que porte l’épouse du Cantique des Cantiques. Et Jean-Baptiste va précisément reconnaître en Jésus l’époux qui vient. La colombe représente ainsi l’irruption de l’épouse nouvelle qui est l’Eglise, cette Eglise que préfigurait déjà dans le livre de la Genèse la palombe portant un brin d’olivier qui retourna vers l’arche de Noé pour annoncer la fin du déluge, c’est-à-dire la paix.



La colombe est le signe magnifique de l’Eglise qui apporte la paix au monde ! Ainsi la vocation du chrétien est symbolisée par cette colombe. Face au déluge de la violence qui submerge nos écrans plats et notre quotidien, être artisan de paix (comme nous y convoquent les Béatitudes, comme nous y renvoie la finale de chaque messe « Allez dans la paix du Christ »), être faiseur de paix, c’est d’abord mettre Dieu à la première place dans nos vies pour la distiller ensuite autour de nous. C’est ce que nous sommes appelés à accueillir à l’occasion de chaque célébration eucharistique où nous partageons le baiser de paix. C’est ce que nous demandons dans chaque prière : que le Seigneur pacifie notre vie par sa seule présence. Lorsque le monde retrouve dans le Seigneur son axe, son ordre, sa finalité, la paix qui se trouve en Dieu dans la communion d’amour des personnes divines se diffuse en nos cœurs. La première réponse à la violence, celle de la guerre, celle de la haine et de la division, c’est la prière. En elle, nous puisons la force de ne pas désespérer de nous-mêmes et du monde, de ne pas condamner les autres, et de nous laisser transformer, unifier, consoler dans le Christ, qu’on appelle le Prince de la Paix.

Être chrétien, c’est au nom et à la suite de Jésus, être promoteur de fraternité, de dialogue et de lien dans le respect inconditionnel d’autrui. L’amour du Christ est accueil sans réserve de l’autre, dans sa différence, son altérité. Il fait le pari aveugle de la réciprocité.

Il nous faut sortir de la culture du mépris. Celle qui au nom de Dieu piétine la liberté d’autrui. Celle qui, affublée des oripeaux de la pseudo tolérance dénie tout absolu, s’en prend à Dieu. La foi chrétienne passe toujours par la rencontre avec l’autre, à l’instar du Christ comme le rapportent les Evangiles. Cette rencontre n’est pas une simple modalité de notre foi, mais relève de son essence. À partir de cette rencontre, parfois inattendue et qui est écoute, respect, partage, service, bref qui est amour, jaillit le témoignage de notre foi, l’offre du salut, un salut qui n’est pas imposé par la contrainte, mais exposé dans la charité.

Être chrétien, dans ces temps tourmentés, c’est être bâtisseur de paix. Il s’agit de mobiliser notre prière, notre charité, notre pardon face à l’offense, mais également de se positionner sur les lieux physiques ou symboliques de fractures humaines et sociales, là où naissent les peurs et les affrontements. Le mépris de l’autre commence par l’irrespect pour la vie humaine, celle de l’enfant à naître dans le sein de sa mère, celle du malade incurable qu’on veut euthanasier, la vie de celui qui est fragilisé, exclu, désespéré, seul… qui ne croit plus en lui-même. Nous devons témoigner d’une vérité sur l’homme, sur tout homme, une vérité qui réclame la liberté pour chacun d’y accéder par la raison, une vérité qui vient du Christ, qui fonde toute justice entre nous, qui appelle la paix de Dieu sur le monde, et qui constitue le seul vrai remède à toute violence. Cette vérité s’énonce à partir de ces paroles jaillies des cieux et qui descendent, non seulement sur Jésus ressortant baptisé du Jourdain, mais aussi sur chacun des croyants et sur l’humanité, paroles d’élection, de bénédiction, d’onction : « Tu es mon Bien Aimé, en toi je trouve ma joie ! ».

+ Dominique Rey

Dimanche 11 janvier 2015 (cathédrale de Toulon)


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Publié le 12.01.2015.

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