Interview de Martin Steffens
Martin Steffens, votre tout dernier ouvrage s’intitule L’amour vrai Au seuil de l’autre. Vous faites le pari singulier d’y aborder la question de la pornographie en parlant de désir et d’amour, comment cette idée vous est-elle venue ?
Faire la morale est parfois nécessaire. Mais concernant la pornographie, l’effet du reproche incitera le consommateur honteux à s’enfoncer dans le déni, et cela ira dans le sens du mécanisme obsessionnel : « je chute, mais je nie que j’ai chuté, donc je ne vois pas le prochain piège se profiler… » J’ai donc choisi de revenir à la source du péché, que j’identifie, non à la haine du bien, mais à son impatience. Le péché, c’est mon bien, ici et maintenant. La chasteté, au contraire, c’est déclarer son immense amour, son désir fou, tout en acceptant de se déprendre du temps et des moyens de leur rassasiement.
Dans ces pages, vous faites une allusion pleine d’espérance à Marie-Madeleine, très vénérée dans le diocèse Fréjus Toulon, et que Jésus relève « car elle a beaucoup aimé ». Vous dites que Jésus « se reconnaît » en cette femme qui pleure à ses pieds, peut-on voir ici la clé de lecture du propos qui sous-tend votre livre ?
Il peut paraître étonnant que Jésus soit plus tendre avec les prostituées qu’avec les gardiens de la Loi. Comme s’il préférait un désir qui s’affirme maladroitement à une volonté qui, au nom de la Loi, refuse l’aventure d’aimer. Le fils prodigue, qui dépense tout pour des prostituées, pourrait bien être le Fils venu sauver le monde, à qui le Père a confié sa part d’héritage, c’est-à-dire « tout Son Amour ». Le fils aîné, resté près du Père, est la Loi toute pure, toute dure, une fidélité sans amour, qui ne se risque pas au monde.
Si la pornographie est sur le mode de la dévoration, vous semblez affirmer avec Saint Jean-Paul II que l’amour lui n’existe que sur le mode de la dépossession et du don, le Pape polonais est-il pour vous une source d’inspiration ?
Non, j’avoue. Mon itinéraire n’a pas encore rencontré en profondeur sa théologie du corps. Par mon âge, je suis de la génération Jean-Paul II mais, par ma conversion (par l’âge de mon âme !), je suis plutôt de celle de Benoît XVI.
Le désir premier d’aimer et de se donner est mis au cœur de l’homme dès la Création par Dieu lui-même, c’est sur la base d’une mauvaise réponse apportée à cette juste aspiration que s’exerce le piège tendu par la pornographie. Comment l’homme en est-il arrivé là ?
On en arrive « là », on tombe aussi bas, par une première mauvaise appréciation. Comme le désir vient de Dieu, sa force est surpuissante. Si donc sa trajectoire est un peu déviée au départ, l’arc tendu projette sa flèche de plus en plus loin de la cible. D’où vient cette première mauvaise appréciation ? De ceci que le mal est tout proche du bien, dont il est la caricature. Ainsi, l’ennemi de la générosité, ce n’est pas seulement l’avarice, c’est la vaine dépense. L’ennemi du courage n’est pas seulement la lâcheté mais aussi l’absence de toute prudence, la témérité. L’ennemi de la tolérance, c’est aussi cette ouverture à tout, qui n’est en réalité que de l’indifférence… De même, la pornographie, mimant le désir d’être « tout à tous », est le singe de la Charité.
Avec la diffusion massive d’images pornographiques, c’est l’innocence qu’on tue et plus particulièrement celle du regard, cette innocence est-elle irrémédiablement perdue ?
Je le crois. Mais l’éthique chrétienne est un art du renchérissement. Il faut aller plus loin et trouver l’innocence, non dans la pureté d’un regard préservé, mais dans cette boue dont se sert Jésus pour guérir l’aveugle.
Aujourd’hui le déferlement d’images pornographiques détruit des couples et des familles, les pouvoirs publics ne semblent pas porteurs de solutions, quel pourrait être l’antidote ?
Un jeune et apparemment talentueux informaticien, après une conférence, me demande s’il peut pirater les grandes plateformes pornographiques. Une croisade contre la Porn Valley ! Oui, mais en sachant que le mal n’est pas un problème qu’on puisse résoudre. C’est un mystère, embrassé par un mystère plus ample, celui d’un amour plus pleinement offert. Le Christ a renchéri ! Comme j’ai essayé de le faire dans cet essai, en opposant, aux images pornographiques, des mots puissants et libérateurs.
Publié le 05.02.2019.
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