Homélie du cardinal Rodé pour les fêtes de Marie-Madeleine

Du 17 au 25 juillet, la Sainte-Baume et Saint-Maximin ont vécu au rythme des fêtes de sainte Marie-Madeleine particulièrement mises en lumière cette année du fait du double anniversaire des translations des reliques de la sainte.


Dimanche 25 juillet 2010, Saint-Maximin vivait un événement exceptionnel puisqu’étaient réunis tous les reliquaires des “Saints de Provence” dans la basilique de Saint-Maximin, troisième tombeau de la chrétienté !

La grand’ messe était présidée par le cardinal Franc Rodé, préfet de la congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique. Mgr Rey était accompagné de Mgr Ravotti, Mgr Molinas et de très nombreux prêtres et chanoines du diocèse. Diverses autorités civiles et militaires participaient aux manifestations dont M. Horace Lanfranchi, président du Conseil général du Var.

Retrouvez ci-après l’intégralité de l’homélie du cardinal Rodé.

Solennité de sainte Marie-Madeleine
homélie du 25 juillet 2010 en la basilique de Saint-Maximin donnée par le Cardinal Franc Rodé, C.M., préfet de la congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique.

Le chrétien, fidèle au Christ, vit à la lumière de cette grande parole de Notre Seigneur : « Le Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19, 10). Ainsi Jésus nous dit les sentiments de son cœur pour nous. Laissons pénétrer profondément cette parole dans notre cœur. Nous y trouverons joie, douceur, paix.

Dès qu’on aborde l’évangile, on est frappé de ce fait : le Christ a été méconnu et rejeté par les scribes et les pharisiens, les représentants officiels de la religion en Israël, qui se croyaient justes, et il a été reconnu et accueilli par les pécheurs et les publicains, que les premiers méprisaient. Entre Simon le pharisien, qui est juste, et la pécheresse repentie, la préférence du Seigneur va vers celle-ci. S’il revenait au milieu de nous, où nous rangerions-nous spontanément ? A côté des justes qui n’ont pas besoin de lui, ou aux côtés des pécheurs pour lesquels il est venu ?

Ces considérations nous mènent à la grande figure évangélique de Marie- Madeleine.

Une très ancienne tradition de l’Eglise reconnaît Marie-Madeleine sous les traits de Marie, sœur de Marthe et de Lazare, et de la pécheresse repentie. Au cours d’un repas offert en l’honneur de Jésus par le pharisien Simon, cette femme que l’on montrait du doigt comme « pécheresse dans la ville », s’est révélée plus aimante et plus délicate que le pharisien qui se croit juste. En effet, la pécheresse baigne de ses larmes les pieds de Jésus, les essuie de ses cheveux, les oint de parfum et les couvre de baisers. Amour ardent, humble reconnaissance de son péché, larmes de reconnaissance pour le pardon obtenu, tels sont les traits sous lesquels les évangiles nous présentent Marie-Madeleine.

Six jours avant la Pâque, à Béthanie, « prenant une livre d’un parfum de nard pur, de grand prix, elle oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux » (Jn 12, 3), annonçant ainsi la mort du Seigneur. Et la maison fut remplie par l’odeur du parfum. Selon la parole de Jésus (Mt 26, 13), partout où est proclamé l’Evangile dans le monde entier, on redit à sa mémoire ce qu’elle a fait.

Nous retrouvons Marie-Madeleine au pied de la croix, avec Marie, la mère de Jésus et le disciple Jean, bravant les soldats et la foule hostile.

Au matin de Pâques, c’est elle qui, la première, se rend au tombeau de Jésus, avec deux ou trois compagnes, pour achever les soins funéraires. Elle trouve la tombe ouverte et vide : la pierre sépulcrale a été enlevée, les linges et le suaire sont posés là, mais elle ne voit pas le corps de Jésus.

Obstinée, Marie-Madeleine reste près du tombeau. Elle pleure. C’est alors que Jésus, vivant, se manifeste à elle en l’appelant par son nom : « Marie ! » Elle le reconnaît et se jette à ses pieds en s’exclamant : « Rabbouni ! » Fidèle à Jésus jusqu’aux derniers moments de sa vie terrestre, elle sera le premier témoin du Ressuscité et le premier apôtre de sa Résurrection.

Grâce à la Legenda Aurea de Jacques de Voragine, à la fin du Moyen Âge, se répandit ce qu’on appelle la « Tradition provençale » selon laquelle Marie-Madeleine aurait évangélisé la Provence. Cette tradition s’enracine dans des sources plus anciennes encore. Voilà ce qu’elle nous transmet : « A cause de la persécution des Juifs contre les premiers chrétiens, et en particulier contre les amis proches de Jésus, Marie, surnommée la Magdaléenne, fut embarquée sur une barque sans voile ni rame, avec son frère Lazare et sa sœur Marthe. La barque arriva à l’embouchure du Rhône, au lieu qu’on appelle aujourd’hui Les-Saintes-Maries-de-Ia-Mer. Marthe s’établit à Tarascon, alors que Marie-Madeleine accompagna son frère à Marseille où ils ont prêché l’évangile. Plus tard, elle vint s’établir à la Sainte-Baume pour y passer les dernières années de sa vie dans la prière, la contemplation et la prédication ».

Telle est la très ancienne tradition de Marie-Madeleine en Provence. Depuis des siècles, des multitudes de pèlerins, de saints, de papes, de rois, la vénèrent. Ils viennent en ces lieux où son souvenir reste vivant. Ils se recueillent dans la crypte de la basilique de Saint-Maximin où la tradition orale, étayée par de nombreux témoignages au fil des siècles, atteste la présence de son tombeau et de ses reliques. Tous, humbles et puissants, s’approchent pour recevoir d’elle réconfort et confiance, et s’inspirer de son amour et de sa fidélité à Jésus-Christ.


Amour et fidélité ! Voilà le grand exemple qui, aujourd’hui encore, émane de cette noble figure de femme de l’entourage de Jésus. L’amour de cette âme ardente qui a trouvé en Jésus la source de la miséricorde, le pardon et la paix. De là cet attachement sans faille, une fidélité à toute épreuve, capable de braver l’hostilité des hommes.

C’est ainsi qu’on la trouve au pied de la croix avec Marie, la mère de Jésus, et le disciple bien-aimé. C’est l’amour plus fort que la mort qui la pousse vers le tombeau aux premières lueurs de Pâques. C’est cet amour qui est payé en retour par la révélation du Ressuscité sous les traits du jardinier. C’est la joie débordante de l’amour qui la pousse vers les disciples pour leur annoncer la grande nouvelle de la Résurrection. C’est la constance de l’amour qui guide ses pas en cette terre de Provence où elle annonce ce Nom aimé par dessus tout. C’est la fidélité de l’amour qui la soutient dans la grotte de la Sainte Baume où, pendant les dernières années de sa vie, elle mène une vie de prière et de pénitence, jusqu’à la rencontre finale avec le Bien-Aimé de son cœur.

Devant l’amour débordant et la fidélité héroïque de sainte Marie¬Madeleine, nous pouvons nous poser la question de notre fidélité, la nôtre, personnelle, et celle de notre communauté ecclésiale.

Chers frères et sœurs ! Nous qui avons connu l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ, nous sommes appelés à témoigner de cet amour et de la fidélité du Christ dans le monde. Comme dans sa vie terrestre, le Christ continue d’aimer les hommes et veut les sauver. Mais il ne le fait pas tout seul. Il nous appelle à collaborer à son œuvre de salut. Ce que Jésus nous demande, c’est d’être des témoins de son amour au milieu de nos contemporains. Car l’amour qui habite dans nos cœurs ne peut pas rester caché. Il faut qu’il se manifeste au monde par des actes concrets d’amour envers les frères.

Brossons brièvement le cadre dans lequel il nous est donné de vivre notre amour et notre fidélité au Christ et à son Eglise.

Il y a indéniablement de très belles choses dans le monde d’aujourd’hui. Prenons par exemple ces vagues énormes de solidarité qui se déclenchent lors de catastrophes naturelles. Des œuvres sociales un peu partout dans le monde venant au secours des plus démunis. Et tant d’actions, parfois très humbles, qui rendent la vie plus belle et plus heureuse.

Mais il y a aussi, dans notre société, des orientations de fond, des attitudes devant la vie, des positions devant la vérité, que le chrétien ne peut pas accepter.

Nous vivons dans une société profondément sécularisée, une société où Dieu est congédié de la scène publique. Mais il y a pire. Des lois contraires au Décalogue ont été votées. Chez certains, on constate une véritable hostilité envers Dieu et l’Eglise. Celle-ci ne cesse d’être accusée par des réseaux médiatiques, qui font d’elle la grande coupable du passé et du présent.

Manifestement, l’Europe a des problèmes avec son passé. Elle peine à l’assumer. Voici quelques années, le cardinal Ratzinger, aujourd’hui Benoît XVI, notait, avec un certain étonnement : « Il y a une haine de soi dans l’Occident qui est étrange et qui peut être considérée comme quelque chose de pathologique : l’Occident tente de s’ouvrir aux valeurs extérieures, mais il ne s’aime pas lui-même. De son histoire, il ne voit que ce qui est déplorable et destructeur, tandis qu’il n’est pas capable de percevoir ce qui est grand et pur ».

Rappelons-nous comment, lors du débat sur la Constitution européenne, on a voulu occulter la vérité historique des racines chrétiennes de la civilisation européenne. On a refusé d’admettre que le christianisme est le fondement de notre identité collective et qu’il constitue une source privilégiée d’inspiration pour la pensée et l’action de notre continent. Mais est-il possible de faire table rase de plus de quinze siècles d’histoire ? Est-il possible de reléguer la foi chrétienne dans le domaine strictement privé de la conscience, sans incidence sur la société ? La religion possède naturellement une dimension sociale que les Etats doivent reconnaître. Ce serait en réalité faire œuvre de justice et de sagesse politique que d’assumer notre passé chrétien et de rester fidèles aux grandes valeurs qui ont façonné les Nations européennes.

A l’heure qu’il est, cela semble difficile. Notre monde ne croit plus aux valeurs objectives. Il préfère que chacun crée son propre système, bâti sur des impressions sensibles, sur des émotions fugitives, sur des expériences éphémères. Affirmer une vérité qui se prétendrait universelle serait synonyme d’intolérance. Comme l’affirmait le cardinal Ratzinger avant le conclave qui l’a élu pape, nous vivons sous la dictature d’un relativisme, absolu et intransigeant, qui refuse à quiconque d’affirmer des valeurs et des normes qui s’appliqueraient à tous. Et pourtant, cette liberté sans norme est en soi contradictoire. On prône le droit à satisfaire tous ses désirs, on revendique comme un droit la suppression de la vie humaine dans le sein de la mère si elle n’est pas désirée. On se bat pour la sauvegarde de la terre et de ses ressources et on assassine la vie naissante.

Dans ce contexte, quel témoignage devons-nous donner en priorité ?

Celui d’un Dieu vivant qui aime la vie, d’un Dieu d’amour, d’un Dieu fidèle qui nous offre son pardon et sa paix. Plus que jamais, notre monde a soif d’une vie qui ait du sens. Il est sensible au témoignage de l’espérance et de la joie authentique. Les chrétiens de ce temps ont donc pour première mission de vivre, simplement et joyeusement, en enfants d’un Dieu qui est Père, qui nous sauve et qui nous aime. En vivant ainsi, ils rendent témoignage, en parole et en acte, d’un Dieu en qui ils ont trouvé miséricorde. Parce que telle est notre expérience et notre joie : Dieu est pure grâce et miséricorde.

Au fond, c’est peut-être cela que le Seigneur a condamné si fermement chez les pharisiens. Ils avaient réduit Dieu à leur mesure : à une étroite justice légale. Ils observaient la loi, donc ils étaient justes, et les autres, telle Marie-Madeleine, étaient pécheurs. Or ce que Jésus nous apprend de Dieu dépasse infiniment cette perception strictement légaliste : Dieu est grâce, il est liberté, il est vie, il est amour. Quant à nous, nous sommes tous de pauvres pécheurs devant lui. Pécheurs et cependant aimés, aimés sans bornes. Voilà le témoignage, si humble et en même temps si grand, que nous sommes appelés à porter à l’homme d’aujourd’hui.

Et le témoignage d’une conscience droite, respectueuse de la vie. Car l’homme a besoin de certaines règles de vie pour marcher vers le bonheur auquel il aspire. Parmi ces règles de vie, il en est auxquelles nous ne pouvons renoncer, car elles sont le fondement même de la vie sociale. Citons en particulier la vérité dans nos relations, l’honnêteté dans les échanges économiques, le respect de l’autre, l’éthique sexuelle et matrimoniale.

A ce propos, je voudrais citer ce qu’écrivait il y a quelques années celui qui est aujourd’hui le Pasteur universel de l’Eglise. « Le mariage monogame, comme structure fondamentale de la relation entre l’homme et la femme, est en même temps comme la cellule de base de la communauté nationale. L’Europe ne serait plus l’Europe si cette cellule fondamentale de son édifice social disparaissait ou était modifiée dans son essence ».

De même, les chrétiens sont porteurs d’un véritable humanisme lorsqu’ils apportent la lumière de l’évangile dans les débats de la bioéthique, lorsqu’ils se prononcent pour le respect de la vie depuis son premier commencement, au moment de la conception, jusqu’à son dernier instant, qui est la mort naturelle.

Dans une société où nous côtoyons des indifférents et des non-croyants, demandons-nous pourquoi la foi apparaît souvent si peu séduisante, insignifiante et même inutile pour tant de nos contemporains. N’est-ce pas par manque de cohérence entre ce que nous annonçons et ce que nous vivons ? Posons-nous franchement cette question, sans crainte de nous remettre en cause : quelle relation avons-nous avec ce Dieu tel qu’il nous a été révélé par Jésus ? Est-il vraiment pour nous, pour moi, ce Dieu d’amour et de pardon qui seul peut donner sens à ma vie ? Notre foi sera vivante et rayonnante, notre rapport avec le Seigneur sera solide s’il est enraciné dans une relation étroite, intime et amoureuse avec lui. Cette union profonde en lui trouve sa source dans la prière quotidienne, elle se nourrit de l’Eucharistie dominicale, elle s’éclaire à la lumière de sa Parole, elle s’édifie par la méditation du Credo de l’Eglise catholique. Notre foi sera contagieuse si elle se fait amour en acte jour après jour, tendresse au sein de la famille, compassion pour les pauvres et les petits, respect et honnêteté dans les relations sociales.

C’est au témoignage d’une vie authentiquement chrétienne que nous sommes appelés, une vie marquée par la conscience d’être des pécheurs pardonnés, vécue dans la liberté intérieure et la joie, une vie sous le signe de la gratuité et du partage. Fortifiés par notre vie intérieure de communion au Christ et guidés par l’amour envers nos frères et sœurs en humanité, nous sommes prêts au dialogue avec eux, afin de leur partager ce qui nous anime profondément. Telle est notre responsabilité chrétienne. Ne rougissons pas de notre foi, même si elle est tournée en dérision. Elle est un don de Dieu et elle est source de paix et de bonheur pour tous.

En 1924, un jeune théologien allemand d’origine italienne, Romano Guardini, considérait les problèmes de son temps. Il écrivait ces mots toujours actuels : « Si nous restons sur le plan où nous nous trouvons aujourd’hui, nous ne réussirons pas à résoudre les problèmes de notre civilisation. Ces problèmes ne seront résolus que s’ils sont affrontés par des hommes nouveaux, des hommes dont le regard soit plus pur, dont l’âme soit plus libre et le cœur plus fort. Des hommes qui vivent à un niveau plus profond de l’être, en qui opèrent les énergies de l’âme, du caractère, de la fidélité, du sacrifice, les énergies de l’esprit, de l’inconditionnel, les énergies de Dieu. Bref des hommes qui sachent prier, des contemplatifs, qui se tiennent constamment devant Dieu ».


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Publié le 27.07.2010.

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