Aymeric et Jasmine, des globe-trotters au service de l’Église et du bien commun

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Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils s’aiment. Avec leurs 4 enfants, les voilà repartis. En pleine troisième vague, ils quittent de nouveau la France. Au 21è siècle, qu’est-ce qui anime un tel couple, une telle famille pour mettre entre-parenthèse leurs vies professionnelles, et, se mettre au service de l’Église et des autres ? Au cœur de l’été brûlant du Var, rencontre d’une famille en mission.

Ce samedi 26 juin, Mgr Dominique Rey, l’évêque du diocèse de Fréjus-Toulon me téléphone : « Si vous êtes disponible en fin de matinée, je passe vous prendre. Je vous emmène voir une famille qui va vous épater. » Je lui réponds : « pourquoi pas ! ». Vers 13h00, il est, effectivement là. Il est seul dans sa voiture, ce qui est rare. Direction le nord de Toulon, vers le mont Faron. Nous arrivons dans un endroit escarpé, difficile d’accès. Mais le motard, est, aussi, à l’aise au volant de sa Peugeot. « Là vous avez un centre d’accueil et d’hébergement des personnes SDF », m’explique-t-il en pointant du doigt un bâtiment qui est mis à disposition par l’Église. Au-dessus, à la fin du chemin escarpé, une dizaine de familles, avec enfants, profitent d’un barbecue convivial. En sortant de la voiture, les odeurs parfumés du pin et du romarin vous enveloppent. Des enfants en culottes courtes jouent au ballon, d’autres, assis sur leur moto en plastique, descendent la pente. Les cris résonnent au milieu des parents, et, de deux prêtres en pleine discussion. « Bienvenue dans les familles en mission, à la résidence solidaire Les Favières », annoncent presqu’en chœur, Aymeric et Jasmine de Dreuzy, les responsables de ce mouvement initié par Mgr Rey, il y a 20 ans. Ce mouvement associatif diocésain consiste à consacrer 4 ou 5 ans de sa vie de famille, sous la forme du volontariat, à servir une paroisse en lien avec les prêtres, et, la diaconie diocésaine. A l’heure où de plus en plus de couples, de familles décident de quitter la ville pour aller vivre à la campagne, de quitter le métro-boulot-dodo parisien, pour se retrouver soit sur une île en Bretagne, à élever des vaches, soit en Dordogne, pour apprendre à vivre comme leurs arrière-grands-parents dans des cabanes, Jasmine et Aymeric ont choisi une autre voie. Avec leurs 2 enfants, Eulalie et Hippolyte, ils décident de tout quitter. Direction Madagascar.

Une vie sur « papier glacé »

Aymeric et Jasmine se sont mariés il y a 13 ans. Ils vivent leur début de mariage normalement, à Rouen. Lui est contrôleur de gestion dans l’industrie. Elle travaille en psychiatrie auprès des jeunes. Leurs premiers enfants naissent. « Nous avons vécu 7 ans à Rouen. Nous avions notre maison, nos 2 enfants, nos vies professionnelles et associatives bien remplies. À 30 ans, toutes les cases de la petite vie tracée étaient cochées ou presque », explique Jasmine. Aymeric continue en disant que « notre existence manquait de sens. Elle était assez morne, et, nous étions insatisfaits. Notre vie n’était pas unifiée. Au bout de 7 ans, nous nous sommes posés la question de partir en mission avec FIDESCO. » Jasmine utilise le mot de « papier glacé » pour résumer leur vie d’avant. Elle qui est ergothérapeute et qui travaille en psychiatrie à l’hôpital de Rouen, auprès des adolescents, pourrait dire qu’il s’agissait d’un burn-out familial, d’une crise, celle des 7 ans. Mais non, la remise en question est trop importante. Avec leurs deux enfants, Eulalie et Hippolyte, les voilà partis à l’aventure, au bout du monde, entre 2014 et 2016, sur une île, à Madagascar. Ils partent avec FIDESCO, une ONG catholique internationale qui est proche de la Communauté de l’Emmanuel. Elle a derrière-elle une quarantaine d’années d’expériences. Fondée en 1981, elle a envoyé près de 2000 volontaires dans les pays pauvres du Sud. Sur le terrain, elle intervient auprès des populations locales défavorisées, en Afrique, aux Amériques et en Asie. Avant de se marier, en 2007, Jasmine avait, déjà, vécu une expérience humanitaire, en Inde, pendant 7 mois. Là, elle y vit une importante expérience et découvre sa propre fragilité.

La grande île et « l’amour gratuit »

En 2014, en arrivant à Madagascar, toute la famille découvre pour la première fois le gigantisme de l’île, qui déborde de vie. Mais la vie y est précaire. Même si la beauté de ses paysages y est exceptionnelle, et, préservée de tout développement économique démesuré, Madagascar reste l’un des pays le plus pauvre de la planète. Avec une démographie galopante, cette société pluriculturelle, de 27 millions d’habitants est dépendante de l’aide internationale. La France qui a colonisé l’île à plusieurs reprises à la fin du 19è siècle, jusqu’à son indépendance, en 1960, est l’un des premiers partenaires. C’est dans cet esprit que partent les Dreuzy. « Mais surtout pas en terrain conquis », prévient Jasmine. « Ce que nous avons découvert, c’est que dans cette pauvreté, les populations vivent avec une joie naturelle immense. Nous n’avions pas cette joie simple. Nous nous sommes convertis, en quelque sorte. » Le couple, découvre « l’amour gratuit de Dieu pour chacun de nous. Alors qu’auparavant, nous vivions selon les valeurs du mérite, de la performance et des résultats. ». Ce choc à la fois physique, par la moiteur aérienne avec un climat tropical où le taux d’humidité peut atteindre les 100%, et spirituel, avec cette remise en cause existentielle, transforme profondément le couple. Plein nord, à Diego Suarez (Antsiranana), dans le diocèse de Diana, la famille vit au rythme local. « La première année nous n’avions pas grand-chose à faire. Nous avions juste à être », explique Jasmine avec ses grands yeux noirs. La seconde année, les activités se multiplient à la fois au service de l’économat du diocèse et d’établissements scolaires. Le couple revit, grâce à la grande île. Après 7 ans de mariage, la vie du couple s’était asséchée en France. En venant à Madagascar, « le Seigneur a rempli de nouveau nos jarres. C’est terrible de dire que nous avions vécu nos premières années de mariage sans les sources du sacrement. Sans le Seigneur finalement. »

De Madagascar à Toulon, en passant par Cotignac

En août 2016, le couple rentre en France. Ils ne veulent pas retourner dans leur vie d’avant. Ils ont l’idée de continuer ce qu’ils ont vécu à Madagascar : de se mettre au service des plus pauvres. Mais où et comment ? « Après 6 mois d’atterrissage à Rouen, Aymeric part deux mois sur les chemins de Saint Jacques de Compostelle. Puis, nous passons Noël à Cotignac, là où Saint Joseph est apparu (NDLR : en 1660). À la fontaine de Cotignac, au lieu de l’apparition, un prêtre à prier avec nous. Et ce prêtre était Mgr Rey », raconte Jasmine en riant. De nouveau le couple, qui attend son 3è enfant, Anatole, repart à l’aventure. Direction Toulon, le Var. Il se met au service du diocèse et vit au milieu d’une résidence qui accueille une cinquantaine de personnes de la rue. Pendant l’interview qui a duré une vingtaine de minutes, en arrière-plan, les autres couples, Mgr Rey et quelques prêtres qui accompagnent ce mouvement des Familles en Mission, continuent leurs échanges. Les enfants jouent, montent et descendent la pente. Les cigales s’en donnent à cœur joie. Il fait beau. L’impression d’être ailleurs persiste. Comme si l’histoire que raconte Jasmine et Aymeric venait heurter une certaine normalité de la vie. Leur mot emblématique : « quitter ». Le tout quitter, c’est leur appel. Leur phrase : « Et celui qui aura quitté, à cause de mon nom, des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, ou une terre, recevra le centuple, et il aura en héritage la vie éternelle », est tirée de Saint Matthieu, au chapitre 19. « Cette phrase, précise Jasmine, nous ne l’avons pas choisie. Elle nous a été donnée plusieurs fois par le Seigneur, au moment de notre arrivée à Toulon. »

Des Familles en Mission

Le couple, en arrivant dans cette résidence des Favières, a reçu trois missions : être une présence amicale auprès de ces personnes défavorisées, être une présence spirituelle, et, enfin être un vecteur de mixité. Pour vivre au quotidien, le couple est logé à la résidence, et reçoit une rémunération pour d’autres fonctions au sein du diocèse. Mgr Rey vient rejoindre notre conversation. Il explique que « depuis 20 ans, des familles sont en mission dans des presbytères et vivent aux côtés des prêtres et des fidèles. Ils viennent dynamiser la vie ecclésiale. » Avec l’arrivée de Jasmine et d’Aymeric, ce mouvement s’est structuré et formalisé. « Le fait de ne pas formaliser leurs activités missionnaires, explique Jasmine, limitait le déploiement des talents. Il y avait trop de flottement, pas assez de cadre. C’est pour cela que Mgr Rey nous a demandé de coordonner ces familles. » Actuellement, dans le Var, huit familles vivent dans des presbytères, et collaborent, dans le cadre d’une charte bien définie avec le diocèse et les prêtres. Du côté de leurs enfants, Eulalie, Hippolyte, Anatole et Pénélope, l’engagement de leurs parents dans un tel cadre, qui n’est pas commun, pose question. Comment le vivent-ils ? Comment s’épanouissent-ils dans ce cadre ? Du côté des parents, la réponse est simple : « Lorsque Dieu nous a appelé, Il nous a appelé en famille, avec nos enfants. » Ce qui est certain, c’est que la famille de Dreuzy a une vocation bien particulière. Leur engagement familial au sein de l’Église, répond en tout point à l’appel qu’avait lancé le pape Jean-Paul II, le 30 décembre 1988 dans l’une de ses exhortations apostoliques Christifideles Laici.

Les papes et la place des laïcs dans l’Église

Dans son encyclique, le pape Jean-Paul II écrivait : « Voyons maintenant de plus près la communion et la participation des fidèles laïcs à la vie de la paroisse. Il faut ici rappeler à l’attention de tous les fidèles laïcs, hommes et femmes, une parole si vraie, si pleine de sens et stimulante, du Concile : ‶Dans les communautés ecclésiales, leur action est si nécessaire que, sans elle, l’apostolat des pasteurs ne peut, la plupart du temps, obtenir son plein effet″. C’est là une affirmation fondamentale, qui doit, de toute évidence, être comprise à la lumière de ‶l’ecclésiologie de communion″ : parce qu’ils sont divers et complémentaires, les ministères et les charismes sont tous nécessaires à la croissance de l’Église, chacun selon sa propre modalité. Les fidèles laïcs doivent être toujours plus convaincus du sens que prend leur engagement apostolique dans leur paroisse. C’est encore le Concile qui le souligne avec raison : ‶La paroisse offre un exemple remarquable d’apostolat communautaire, car elle rassemble dans l’unité toutes les diversités humaines qui se trouvent en elle et elle les insère dans l’universalité de l’Eglise. Que les laïcs prennent l’habitude de travailler dans la paroisse en étroite union avec leurs prêtres, d’apporter à la communauté ecclésiale leurs propres problèmes, ceux du monde et les questions qui concernent le salut des hommes, pour les examiner et les résoudre en tenant compte de l’avis de tous. Selon leurs possibilités, ils apporteront leur concours à toute entreprise apostolique et missionnaire de leur famille ecclésiale″ ». Plus tard, Benoît XVI écrira lors du 20è anniversaire de cette exhortation : « je réaffirme la nécessité et l’urgence de la formation évangélique et de l’accompagnement pastoral d’une nouvelle génération de catholiques engagés dans la politique qui soient cohérents avec la foi qu’ils professent, qui aient de la rigueur morale, la capacité de jugement culturel, la compétence professionnelle et la passion du service pour le bien commun. Le travail dans la grande vigne du Seigneur a besoin de christifideles laici qui, comme la Très Sainte Vierge, disent et vivent le « fiat » au dessein de Dieu dans leur vie. Dans cette perspective, je vous remercie donc de votre précieuse contribution à une si noble cause et je vous donne de tout cœur, ainsi qu’à vos proches, ma Bénédiction apostolique. » Et le pape François va plus loin avec son encyclique Fratelli tutti. En mai dernier, dans le cadre de la 107è Journée mondiale du Migrant et du Réfugié, qui se déroulera le 26 septembre prochain, il lançait cet appel : « Aujourd’hui, l’Église est appelée à sortir dans les rues des périphéries existentielles pour soigner les blessés et chercher les perdus, sans préjugés ni peur, sans prosélytisme, mais prête à élargir sa tente pour accueillir tout le monde ».

Prochaine mission : le Portugal

Comme s’ils vivaient de ces exhortations et des autres appels lancés du Vatican, toute la famille de Jasmine et d’Aymeric s’apprête à répondre à un nouvel appel. Ils vont repartir, c’est désormais officiel. Ils sont, déjà, dans les cartons. « Nous partons pour le Portugal, nous allons vivre à Lisbonne une mission équivalente à celle de Toulon, avec l’église locale », explique Aymeric. La conversation se termine, comme le barbecue du reste. Les 8 couples se retrouvent dans la salle de réunion de la résidence. Mgr Rey fait le point sur sa vision épiscopale, et, sur les prochains projets. Il veut mettre l’accent sur la famille. Avec l’année dédiée à Saint Joseph, il veut, aussi, redorer le blason de la paternité, de « la douce autorité paternelle, qui assure l’éducation et la protection de la famille. » La journée se termine. En les quittant, Aymeric et Jasmine souhaitent apporter un complément de réponse à la question du sens de leur engagement : « La charte des familles en mission encourage les couples à puiser l’amour au cœur de Dieu. » Et, à la question du bonheur, ils répondent à l’unisson : « Oui, nous sommes heureux. Au-delà même de ce que nous aurions pu imaginer. »

 

Reportage réalisé par Antoine BORDIER, Consultant et Journaliste Indépendant


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Publié le 28.07.2021.

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