Le prêtre conjugue le Verbe
Homélie de monseigneur Rey lors des ordinations diaconales et sacerdotales à La Castille, le 25 juin 2017.
1) Toute vocation chrétienne se conjugue au singulier à partir d’un « je ».
Dans quelques instants les ordinands, à l’appel de leur nom, répondront « me voici ». Cette mise à disposition de soi exprime ce « je » personnel qui constitue à la fois un acte de volonté et un acte de liberté. Cette déposition entre les mains du Seigneur et de son Eglise est le fruit d’un travail sur soi accompli tout au long de la formation au sacerdoce. Pendant 7 à 8 ans, il s’est agi d’authentifier l’appel, de vérifier que le désir de se donner n’était pas pollué par une recherche de soi, que l’offrande de sa vie était portée par un équilibre humain, une densité de vie théologale, une authentique gratuité, une rectitude morale, bref la vérité d’un « oui » offert à Dieu pour toujours.
Ce « je » formulé aujourd’hui, prend en charge toutes les dimensions de l’existence. Ce n’est ni un coup de cœur, un emballement affectif passager, ni un « ascenseur ecclésial ».
Dire « je » procède d’une juste connaissance de soi, de ses désirs, mais aussi de ses pauvretés, de ses capacités mais aussi de ses contingences. Ce « je » est raisonnable. Il résume tout le passé. Il assume le présent. Il porte l’espérance.
2) Le « je » s’ordonne et s’adresse à un interlocuteur, adhère à un « tu ». Le « tu » ou le « vous » qu’est Dieu. La personnalité de chacun n’est pas écrasée par le contact, par le lien avec le Seigneur. Tout au contraire. La condition pour comprendre le prêtre et sa mission, c’est de remonter à sa source, de le relationner à Celui qui est à l’origine et à la fin de toute vocation : le Christ.
En parlant du prêtre André Malraux disait qu’il était « l’homme des relations profondes ». Pas seulement alter Christus (autre Christ) mais ipse Christus (le Christ lui-même, en personne). Le prêtre identifié au Christ, tête de son Eglise, et qui agit en son nom, ne roule pas à son propre compte. Il ne se sert pas de Dieu pour ses propres intérêts. Sinon, il rate sa vocation. Sinon, il se ment à lui-même, il trahit sa mission.
Le centre de gravité du prêtre se situe ainsi hors de lui-même. Il se trouve en Dieu, et en Dieu seul. Le Seigneur est sa raison d’être et d’agir. La vie de Dieu s’accomplit dans la sienne.
A chaque messe, quand il élève l’hostie et la coupe en proclamant « ceci est mon Corps, ceci est mon Sang », cette identification au Christ le place au sommet de son identité sacerdotale, l’associe à son sacrifice rédempteur. Tout dans le prêtre appartient à Jésus. Et cette présence divine l’emporte au-delà de lui-même vers tout homme et tous les hommes. Il devient le véhicule et le médiateur de Dieu. L’incarnation du Christ dans le monde se prolonge et se perpétue à travers sa mission sacerdotale.
Un prêtre âgé aujourd’hui en retraite, m’écrivait récemment ceci : « A 3 reprises de manière insistante dans l’Evangile de Jean, Jésus demande à Pierre : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? Cette question de Jésus est taraudante. Elle est pénible pour Pierre. « Pierre fut peiné de ce qu’il lui demandait pour la troisième fois, m’aimes-tu ? » (Jn 21, 15 et s.) Et le vieux prêtre me confiait : « Cette question doit rester continuellement ouverte et actuelle pour chaque prêtre tout au long de sa vie. Cet amour du Christ est à vivre chaque jour dans l’épaisseur du quotidien, jusqu’en nos déchirures. Mais hélas dans ma longue vie sacerdotale, je n’ai jamais rencontré un confrère qui ait relayé cette question brûlante : ‘Toi, est-ce que tu aimes le Christ ? Est-ce que tu l’aimes vraiment ? Est-ce que tu l’aimes plus que tout ? Plus que ta propre vie ?’ »
Le « tu » ou le « vous » adressé à Dieu atteste que notre vocation ne nous appartient pas.
3) Le prêtre assume un « je », celui de son humanité offerte à Dieu. Le prêtre se comprend aussi à partir du « tu » que Dieu lui adresse, et auquel il est invité à répondre sans réserve. Mais le prêtre est également conduit à prononcer un « nous », la première personne du pluriel. Le « nous » de l’Eglise qui est sa famille, dont il est, comme prêtre, à la fois membre et ministre. L’Eglise, comme une mère, enfante et nourrit chaque prêtre. Cette Eglise investit chaque prêtre d’une paternité particulière : celle d’engendrer les hommes à la foi en les enseignant, en les sanctifiant et en les conduisant. Par sa charité pastorale, le prêtre aime et soigne le corps du Christ qu’est l’Eglise, comme son propre corps. Au sein de la communauté chrétienne qui lui est confiée, le prêtre est redevable de sa sollicitude pour conduire et faire grandir chacun jusqu’au Christ. Le prêtre est député à la communion de tous avec le Christ, et de la communion entre tous à partir du Christ. Sa mission est de rassembler autour du Bon Pasteur, de guider, d’accompagner, de soigner. Il est à la fois un pêcheur d’âmes, un cultivateur, un bâtisseur, et un médecin.
Ce « nous » est l’ADN de la vocation universelle du prêtre. L’apostolat du prêtre est d’être l’homme de tous, pour tous et avec tous. L’Eglise est belle de cette unité qui intègre tant de différences, mais dont le centre de gravité reste le Christ. Cette unité est à la fois hiérarchique et magistérielle, en obéissance avec l’évêque. Cette unité est aussi symphonique. Elle offre une place à chacun quel que soit son rang, quelle que soit sa sensibilité, unité sans cesse ouverte pour rejoindre la multitude et intégrer les diversités d’expression de la foi.
4) J’ai parlé du prêtre à la première personne du singulier (le « je »), du prêtre à la deuxième personne du singulier, le « tu » ; j’ai souligné la dimension ecclésiale, le « nous » de la communion… Mais n’oublions pas que la vocation du prêtre se décline encore à la troisième personne du singulier et du pluriel : le « il ». Ce « il » désigne le monde. Un monde marqué par l’anonymat, l’indifférence, parfois le refus de Dieu, mais un monde qui est traversé par des attentes spirituelles, des aspirations à la fraternité et à la paix. « Homme des périphéries », comme le rappelle le pape François, le prêtre existe également pour ceux et celles qui ne sont pas encore dans l’Eglise. Par le prêtre, le Christ s’approche de chacun d’eux, sans exception, sans prévention. Il n’est pas prêtre pour lui-même ou pour un clan, mais pour tous. Il rejoint cette quête de sens et d’intériorité, de transcendance que l’Esprit-Saint creuse dans l’âme de tout être humain. Le ministère universel du prêtre est marqué, en même temps, par l’audace de la foi et la délicatesse du cœur. Pour reprendre le langage populaire, il n’est ni un zombie, ni un bourrin. Il allie le zèle et la finesse, la rigueur et la docilité à l’Esprit-Saint.
Je, tu, il, nous, vous, ils… Tous ces pronoms personnels qui définissent la vie du prêtre, se conjuguent au présent. Hic et nunc. Ici et maintenant, dans l’aujourd’hui d’une Eglise qu’il faut aimer avec ce qu’elle est, ses grandeurs et ses limites, avec les personnes que l’on n’a pas choisies, mais que Dieu nous confie.
Mais ces pronoms personnels se conjuguent aussi à l’imparfait, au premier sens du terme, en prenant en charges nos misères, nos péchés, nos vulnérabilités. Notre fécondité passe par la Croix, les croix que traversent nos vies.
Chers frères ordinands, n’oubliez jamais non plus que ces pronoms personnels qui définissent votre vocation sacerdotale se conjuguent également au futur. C’est dans la gloire du Ciel, face au grand Prêtre du monde à venir, le Christ Glorieux, que vous vous comprendrez en plénitude et que vous relirez en vérité votre histoire sainte. Votre mission, votre vocation se lisent à partir de la fin. C’est vers le Christ qui nous précède et qui nous espère, que nous pressons le pas dans ce pèlerinage vers la patrie d’En-Haut.
+ Dominique Rey
Publié le 26.06.2017.
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