Jusqu’à la Croix
Homélie prononcée par monseigneur Dominique Rey lors de la messe chrismale à la cathédrale de Toulon le 1er avril 2015.
Homélie filmée par Cnmedia.fr
Chers frères prêtres,
Au jour de votre ordination, vous avez entendu ces paroles qui vous ont été adressées par l’évêque qui vous présentait la patène et le calice : « Ayez conscience de ce que vous direz, imitez dans votre vie ce que vous accomplissez par ces rites, et conformez vous au mystère de la Croix du Seigneur. »
Ces paroles reviennent à notre mémoire de façon particulière en cette semaine sainte et au cours de cette messe chrismale puisque nous re-choisissons ensemble et personnellement de suivre le Christ prêtre jusqu’à la Croix. « L’unique ascension légitime du ministère est la Croix », disait Benoît XVI.
La croix que nous avons tous à porter est celle d’abord de nos contrariétés, celle de nos péchés, celle de nos affections désordonnées à nos sens, à nos biens, à notre confort, aux personnes envers lesquelles nous manquons de chasteté et de charité, soit par trop de distance, soit par trop de proximité. Notre croix, c’est encore notre auto-référencement, (se rechercher soi-même dans son ministère), notre tentation de rouler pour notre propre compte en oubliant que notre ordination nous ouvre à une totale disponibilité à autrui, sans exception, et que notre ministère est par essence collégial au sein du presbyterium, qu’il est référé à la collaboration avec nos confrères et à l’obéissance envers l’évêque.
La croix à la fois nous détache et nous attache. Elle nous détache de nos œuvres propres, de nos résultats apostoliques ou de nos échecs par lesquels nous sommes tentés de nous juger, de nous complaire ou de nous désespérer. Elle nous détache de nos illusions. Elle nous libère de l’Adversaire. Elle nous confronte au réel.
Mais la Croix nous attache au Christ pour lequel nous avons choisi de servir comme Lui, sans retour en arrière, sans retour sur soi, en acceptant de se dessaisir de sa propre existence et d’entrer avec Lui dans la liberté du don de soi.
Le prêtre n’est pas seulement ordonné pour porter sa propre croix, mais aussi pour porter la Croix du monde, dont Jésus s’est lui-même chargé au Calvaire. Cette Croix du monde prend la forme du malheur sous toutes ses formes. Le cœur du prêtre saigne face à l’injustice, face à la violence et à la misère qui défigurent l’homme, face à la vie arrachée dès le sein de la mère ou la mort proposée aux personnes âgées avant l’heure parce qu’elles ne sont plus utiles à la société.
Comme le disait Etty Hillesum, juive incroyante dans les camps de la mort où elle trouva la foi, « on voudrait être un baume sur tant de plaies ». C’est bien cette humanité défaite qu’il porte à bout de bras en élevant l’hostie, que le prêtre veut rejoindre, veut étreindre, car elle est infiniment aimée de Dieu.
Le prêtre porte sa croix. Il porte la croix du monde, mais il porte surtout la croix du Christ. Comme Simon de Cyrène.
En contemplant de près le Christ humilié, crucifié, on est changé par Celui qu’on regarde. En voyant jusqu’où va l’amour du Christ, monte alors en nous le désir de le suivre, « de compléter en notre chair ce qui manque aux épreuves du Christ » (Col 1, 24). Le cœur s’ouvre à ce qui le déborde. Il ne peut plus se soustraire à ce que la miséricorde lui enjoint de faire.
Le prêtre est appelé à la Croix, sur la Croix. Sans la Croix, le ministère demeure indéchiffrable pour le prêtre lui-même. Mais la mort du Christ n’est pas seulement à contempler à distance, elle est aussi à assumer en chaque vie sacerdotale. On ne peut rejoindre le Ressuscité qu’en passant nous aussi, par sa mort et sa déréliction.
Tout prêtre est appelé à inscrire un peu de la Passion du Christ dans sa chair, au cœur de sa vie. Il doit intégrer ses souffrances physiques, morales, pastorales dans l’unique sacrifice du Christ.
« Tu vois, disait le Padre Pio à un ami, les gens demandent tous à être libérés de leur Croix, mais personne ne demande à Dieu de l’aider à la porter. »
Le ministère est une aire de combat. Et le prêtre ne peut faire l’économie de la souffrance pour enfanter les âmes à Dieu. Réentendons la supplication du Curé d’Ars adressé au Seigneur au tout début de son ministère. « Mon Dieu, accordez moi la conversion de ma paroisse. Je consens à souffrir tout ce que vous voudrez, tout le temps de ma vie, avec les douleurs les plus aiguës, pourvu que mes paroissiens se convertissent. »
Ainsi, les prêtres sont invités par le Concile Vatican II dans Presbyterorum Ordinis à « imiter dans leur vie ce qu’ils accomplissent dans la liturgie ». Il ne s’agit pas de sombrer dans le dolorisme, de cultiver la douleur pour la douleur, il y aurait là une attitude mortifère. Associés par la Croix à la rédemption du Christ, à sa glorification, nous accédons ainsi au mystère de la communion des saints.
Nous nous savons redevables, chers frères dans le sacerdoce, de tant de personnes connues ou inconnues qui nous obtiennent guérison, réconfort, pacification grâce à tant de croix auxquelles elles ont consenti dans un esprit de rédemption. Elles participent de la fécondité de notre apostolat. Et de la même manière, nous portons à l’autel du Seigneur tant de visages, tant de drames, tant d’espérances, dont nous savons qu’en unissant l’offrande de nos propres épreuves au sacrifice pascal du Christ, elles recevront des bénédictions, des grâces de conversion. Sainte Thérèse de Lisieux, apôtre des petits sacrifices du quotidien, nous le rappelle : « Ramasser au sol une épingle avec amour, peut sauver une âme.»
Porter nos croix, porter la croix du monde, porter la croix de Jésus, porter aussi celle de l’Eglise. Telle est aussi notre mission. La croix de l’Eglise c’est la division de ses membres, leur infidélité au témoignage de la Vérité, par peur, par orgueil, par négligence. C’est aussi le légalisme, le moralisme, la bureaucratie, le cléricalisme, ce que le Pape François dénonce si souvent : le refus d’assumer une posture de sortie missionnaire. L’Eglise existe aussi pour ceux qui lui sont encore extérieurs.
Ecole de sagesse, comme le dit Paul aux Corinthiens, la Croix nous révèle le vrai visage de Dieu. Elle est également le levier de notre vie intérieure, l’autel de notre offrande, le lieu de notre accomplissement humain et sacerdotal. Tant que le choix de la Croix n’a pas été fait, nous aurons l’impression d’un éclatement intérieur, d’une acédie, d’une dispersion entre toutes nos activités ministérielles, le sentiment d’insatisfaction, de n’avoir pas été jusqu’au bout de notre vocation.
Le disciple n’est pas plus grand que le Maître, rappelle Jésus. Le prêtre devra emprunter « la même échelle du Ciel » (curé d’Ars), pour accéder au Royaume.
« Heureux l’homme qui endure l’épreuve, parce qu’une fois testé, il recevra la couronne de vie. »L’apôtre Jacques atteste que la Croix nous offre la récompense qui nous a été déjà acquise par l’Agneau vainqueur. La Croix nous donne accès à la joie apostolique de l’Eglise. « Je trouve ma joie dans les souffrances éprouvées pour vous », confiera Paul aux chrétiens de Colosse. Et c’est bien à cette joie missionnaire et sacerdotale que le Christ appelle, en ces jours, les ministres que nous sommes, tandis que nous gravissons, avec Lui, derrière Lui, le Golgotha.
Monseigneur Dominique Rey
Messe chrismale du 1er avril 2015
Cathédrale Notre Dame de la Seds
Publié le 02.04.2015.
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