Homélie de Mgr Rey : Ascension

Voici l’homélie prononcée par monseigneur Dominique Rey lors de la messe d’ordination de deux prêtres le jeudi 29 mai 2014 en la cathédrale Notre Dame de la Seds.

Ascension

Jésus est enlevé au Ciel. Il s’en va dans son corps glorieux vers le Père qu’il n’avait en vérité jamais quitté. En premier de cordée, il est retourné dans la gloire divine.

« Tu es fait pour quelque chose de grand », disait Mandela. Je dirais plutôt : « tu es fait pour quelque chose de haut ». « Quand je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi ». Les paroles de Jésus concernent la Croix mais aussi l’Ascension. Nous aussi, dans son sillage, nous sommes appelés à une ascension.

La coïncidence liturgique entre cette solennité de l’Ascension et la célébration des ordinations presbytérales de Florent et de Matthieu n’est pas sans signification. En effet, l’Ascension révèle l’identité du prêtre. Le prêtre est le ministre de l’Ascension. Sa mission est de faire monter les âmes vers le Seigneur, de présenter avec des mains pures le sacrifice d’action de grâce du peuple sacerdotal au cours de chaque messe, en élevant vers Dieu le pain et le vin pour qu’ils se convertissent en Corps et Sang du Christ pour le salut du monde.

Ce qui est signifié liturgiquement et sacramentellement dans chaque eucharistie est à honorer concrètement dans la vie du prêtre : prononcer des paroles qui édifient, qui font grandir ; porter un regard d’espérance sur ceux qui sont tombés afin qu’ils se redressent ; accomplir des gestes qui attestent de la Rédemption et de la Miséricorde, et qui permettent de repartir, de monter vers le Seigneur.

En régime d’ascension, l’Eglise attend du prêtre qu’il désigne le but, la cime : « Recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ assis à la droite du Père ». C’est en haut qu’est notre but, non sur la terre » rappellera Paul dans la lettre aux Colossiens (Col 3, 1-2), face à des communautés engluées dans des divisions intestines, et les soucis du monde. Réentendons le St Curé d’Ars exhorter ses fidèles : « Oui, nous verrons Dieu ! Nous le verrons tout de bon. Nous le verrons tel qu’Il est ! Nous le verrons face à face ! » L’Ascension du Christ signe notre victoire. Elle nous ouvre les portes de la vie éternelle (« divinisation »). Elle fonde notre espérance.

La gloire de Dieu est notre but, notre cap, et comme le souligne un proverbe, « ce qui est fixé par le haut, trouve son équilibre ! »

L’alpiniste qui gravit un sommet escarpé sait qu’il doit se délester des choses accessoires, qu’il doit avancer avec d’autres, en cordée ; user de patience ; faire preuve de courage… sans rester le nez en l’air, les bras ballants, sans traîner les pas !

Vous connaissez l’histoire du fou qui prend le train. Le contrôleur le questionne : « Où allez-vous ? » Et lui de répliquer : « Je ne sais pas, mais j’y vais ! » Combien de nos contemporains embarqués dans la course poursuite au bien être pourraient en dire autant ! Comme des canards sans tête qui continuent de marcher ! Le chrétien a la chance inouïe de connaître la destination finale. Et la mission du prêtre est de toujours la lui rappeler.

Le vrai disciple du Christ se réjouit de son triomphe sur la mort, de savoir que Celui qu’il aime se trouve placé par son Ascension à la droite du Père. Au ciel, iI partage avec la Trinité la jubilation des anges et des saints.

Dans l’Evangile, Luc souligne bien qu’après le départ du Christ vers le Ciel, les apôtres retournèrent à Jérusalem « en grande joie, et qu’ils restaient constamment dans le Temple à louer Dieu » (cf Lc 24, 52)

Le prêtre doit réveiller chez les baptisés l’enthousiasme, nourrir cette joie eschatologique dont témoigne l’Apocalypse. « Il règne le Seigneur, notre Dieu tout puissant. Exultons, crions de joie, rendons lui gloire » (Ap 19). Récemment le pape François dénonçait l’attitude de ces prêtres gestionnaires qui ne sortent pas d’eux-mêmes et finissent par devenir des « prêtres tristes », convertis en collectionneurs d’antiquités ».



Parce qu’il fut, jusqu’au bout, l’un d’entre eux, les apôtres ont cru que Jésus n’était que pour eux, qu’ils pourraient le garder pour eux. L’Ascension dérobe leur Maître. Cet événement les conduit jusqu’à une déprise dans leur relation jusque là privilégiée avec Jésus. Son départ est la condition pour qu’Il soit disponible pour tous, partout et toujours, et pour qu’eux-mêmes prennent en charge la mission qu’Il leur a confiée. Il se soustrait à leurs yeux pour qu’ils aillent à sa rencontre sur les routes du monde, et qu’ils le découvrent ailleurs et autrement qu’ils ne l’avaient auparavant rencontré. « C’est là qu’ils me verront.», les avait-il prévenus. Le Fils de l’homme ne sera plus ici ou là. Il se révèle désormais dans le pain eucharistique ; dans le geste du pardon ; sous les traits du prochain ; au quotidien, dans l’éclosion de sa Providence ; souvent dans la fragilité. Sa présence est sacramentelle. C’est le temps de l’Eglise et du sacerdoce ministériel. L’Ascension ne nous laisse pas orphelin. Elle a comme diffracté et dilaté la présence du Christ en des milliers de signes de son discret passage, dont le prêtre atteste l’actualité. Cette présence du christ suscite aussi cette joie insolite qui monte de l’âme sous la forme de désir de Dieu et d’ardeur missionnaire.

Au jour de l’Ascension, une nuée a dérobé Jésus au regard des apôtres. La nuée dans la langue de l’Ancien Testament désigne à la fois l’invisibilité de Dieu et en même temps sa présence. D’un côté, la nuée cache. Telle la brume, elle rend obscur l’éclat du Soleil divin. De l’autre, selon le témoignage de Moïse dans l’exode au désert, la nuée garantit la présence fidèle du Seigneur.

Dans l’attente de l’ultime épiphanie, le Christ n’abandonne pas les siens. « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde ». Avant de se retirer, Jésus lègue aux siens la promesse étonnante, qu’à aucun moment, il ne leur fera défaut. Son absence physique révèle une autre forme de présence. D’abord par le manque qu’il crée. On le remarque souvent au départ d’un être cher : les absents ont un poids immense. « Depuis qu’elle n’est plus là, me confiait une amie à propos de sa mère récemment défunte, maman est partout ! »

Ensuite le Christ est présent par son Esprit qu’il a déposé en nos cœurs. Le Christ nous devient, par la force de son esprit, plus intérieur à nous-mêmes que nous-mêmes. Son départ ne signe pas notre abandon, mais l’intériorisation de sa présence. Il s’abstrait afin de mieux nous rejoindre, en nous.

Assis à la droite du Père, Jésus continue d’agir dans le monde. Comme le prophète Elie qui lègue son esprit à Elisée pour le regarder à distance s’éloigner sur son char (2 Rois), Jésus laisse son Esprit à ses disciples qui le voient s’élever vers les hauteurs. Absent physiquement, Jésus demeure à l’œuvre parmi les siens, dans son Eglise, par l’action de son Esprit. Le rôle du prêtre est d’enseigner le sens de cette présence nouvelle de Jésus, d’enseigner l’art de la prière, et du discernement de l’Esprit-Saint. Le prêtre apprend comment travailler avec Dieu en travaillant pour Dieu ?

Oui, dans une culture marquée par l’activisme et la performance, le prêtre atteste du primat de la grâce de Dieu. Et lui-même, dans l’exercice de son ministère, doit être un priant. Car le monde attend du prêtre qu’il intercède, qu’il supplie, qu’il adore. Son ministère ne se résume pas à l’activité pastorale, aussi nécessaire soit-elle. Configuré au Christ, sa prière touche le cœur de Dieu.
– Prière sacerdotale en faveur du peuple qui lui est confié,
– Prière filiale car avant que d’être père, il se reçoit comme fils, enfant de Dieu,
– Prière théologale pour ceux qui ne prient pas, qui ne prient plus,
– Prière ecclésiale puisqu’il prend en charge la vie de l’Eglise par la récitation quotidienne de l’office divin,
– Prière d’adoration qui prolonge la célébration de l’eucharistie.
– Prière dans la nuit pour toutes les nuits du monde.

« Galiléens, pourquoi restez-vous là, à regarder le Ciel » (Act, 1, 11) disent les anges aux Apôtres ébahis par le spectacle de l’Ascension du Christ. Même si l’essentiel est le Ciel, la terre reste le terrain d’envol dont il ne faudrait pas s’évader trop vite. A l’occasion des voyages apostoliques, lorsque le Souverain Pontife débarque sur une terre étrangère, il embrasse le sol qui l’accueille, comme le terreau du Royaume de Dieu.

La pédagogie pastorale du prêtre sera d’enseigner au peuple chrétien que c’est à travers l’épaisseur des jours et la banalité des choses que nous entrons dans l’éternité. Certes, les réalités terrestres se trouvent, dans le Christ glorifié, emportées et outrepassées par les réalités d’en haut qu’elles espèrent « au-delà et plus qu’au-delà de ce que nous pouvons désirer ou concevoir (Eph. 3, 20), mais ces réalités terrestres constituent pour l’Eglise le tremplin pour parvenir à Dieu, l’ébauche du monde à venir.

« De toutes les nations, faites des disciples et baptisez-les », enjoindra Jésus aux apôtres, avant de les quitter. Chaque prêtre hérite de ce mandat missionnaire, et fait cette expérience bouleversante que c’est en donnant le Christ au monde par la proclamation de sa Parole et l’administration des sacrements, qu’il a le bonheur de Le trouver lui-même, de se trouver en Lui. C’est dans cette fidélité au Christ et à sa mission, qu’il se sanctifie en sanctifiant les autres. Telle est sa joie d’être prêtre, et cette joie se résume en 3 verbes : aimer, servir et se donner jusqu’au bout.

+ Dominique Rey

Publié le 04.06.2014.

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