L’amour et le mal

Entretien avec Hervé Roullet, auteur de L’amour et le mal, L’œuvre, 2012


Quelle est la présence du mal dans notre monde d’aujourd’hui ?

Le 20e s. qui a vu des progrès extraordinaires sur le plan des sciences, présente un bilan tellement désastreux sur le plan humain qu’il serait téméraire d’affirmer que l’humanité progresse vers plus de civilisation. En additionnant les morts des guerres et des génocides, on arrive sans doute à 200 millions de morts.

On parle aujourd’hui de « structures de péché » qui semblent échapper à la volonté humaine individuelle. Des moyens psychologiques de masse sont capables de conditionner des gens, au point de leur faire perdre le sens de l’existence, dans le double but de servir la société de consommation et de maintenir les rentes de situation de l’oligarchie politique et financière.

Le christianisme a perdu de sa crédibilité aux yeux de beaucoup, sous prétexte qu’il faudrait se défaire de tous les dogmatismes et, en même temps, les chrétiens sont de plus en plus brimés en bien des pays : près de 200 millions d’entre eux sont persécutés, ce qui représente environ 80% des actes de persécutions. Toutes les cinq minutes, un chrétien est tué à cause de sa foi, et plus de 100.000 chrétiens sont tués chaque année.

Pour cerner cette réalité, j’ai voulu faire une sorte de chronique des évènements récents qui appelle chacun à une réflexion objective sur l’existence du mal. Les faits ponctuels sont en effet vite oubliés, et seule une recension chronologique permet de mettre en relief un fil conducteur, permettant de juger l’arbre à ses fruits, suivant le conseil de Jésus.

Mis bout à bout, ces évènements sont saisissants, car l’on voit une sorte d’entente factuelle entre des courants divers ayant pour objectif commun d’anéantir le christianisme. Elle est menée surtout par l’idéologie laïciste et l’islam radical, sans oublier le communisme, qui reste encore bien présent dans certains pays (la Corée du Nord par exemple).

Pour ne citer qu’un exemple parmi beaucoup d’autres que l’on trouvera dans l’Amour et le mal, les massacres perpétrés par les islamistes durant une messe en Irak et les crimes accomplis par les nazis, en 1944, dans l’église d’Oradour-sur-Glane, montrent une singulière similitude dans les comportements.

Le processus d’élimination a commencé depuis longtemps. En Turquie, par exemple, où ont pourtant vécu la Vierge Marie, les apôtres Jean et Paul et, plus tard, d’éminents Pères de l’Église, il ne reste plus qu’une poignée de chrétiens, après le massacre des Arméniens. De même, l’Afrique du Nord, pourtant terre natale de saint Augustin, ne compte plus qu’une petite minorité de chrétiens. Dans le même temps les islamistes ont pris le pouvoir tout autour de la Méditerranée, c’est-à-dire à nos portes.

L’Europe ne sera pas épargnée. Déjà, au Kosovo, depuis 1999, 250. 000 chrétiens ont dû s’expatrier et 150 églises et monastères ont été détruits. A Chypre, pays faisant pourtant partie de la communauté européenne, après 30 ans d’occupation de plus d’un tiers de l’île par la Turquie (sans la moindre réaction de la CEE), 180.000 cypriotes ont été chassés, pour être substitués par plus de 300.000 colons ou soldats turcs, 520 églises chrétiennes ont été transformées en magasins, musées et mosquées et le patrimoine artistique a été volé et vendu.

Pour ce qui concerne l’idéologie laïciste, le courant antichrétien est savamment entretenu par les grands medias aux ordres, et il se manifeste par des faits révélateurs : profanation d’églises ou de cimetières, graffiti injurieux, rejet du point de vue chrétien dans les débats, dérision et moqueries, subventions à des spectacles ouvertement antichrétiens… Le nombre d’actes de vandalisme visant les lieux de culte est tel qu’un site Internet en fait une recension sur de nombreuses pages. On est sidéré en parcourant la description des dégradations et les photos : calices profanés, hosties éparses au sol, statues décapitées, crucifix servant de levier pour fracturer des portes, croix renversées et souillées, symboles nazis, statues arrachées, rodéo à scooter dans la nef… Les coupables sont à plus de 80% des jeunes mineurs qui, pour la plupart, ne seront jamais sanctionnés.

Dans le même temps, nos sociétés sont minées par les divers aspects de la culture de mort, dont l’un des piliers est le dispositif pro-avortement. En l’espace d’une quarantaine d’années, les législations sont passées d’une limitation des avortements à un droit, puis, récemment, à un encouragement. Un autre pilier est la théorie du genre et ses corollaires touchant la dénaturation du mariage, la PMA et la GPA.

Ainsi, par la volonté de quelques élus, habilement manipulés par des groupes de pression ultra minoritaires, nous risquons de nous diriger, s’il n’y a pas un réveil et une affirmation des gens de bonne volonté, vers une société néo-païenne, dont les us et coutumes ont précédé non seulement le christianisme, mais même la loi mosaïque. La loi civile se plaçant subrepticement au-dessus de la loi divine, peut-être en viendra-t-on à mettre à l’index certains passages de la Bible ou condamner ceux qui les citent.

Quelle est l’attitude du chrétien face au mal ?

Le premier devoir est de s’informer.

Pour ce qui est de l’islam, depuis le 7è s., des saints, des docteurs de l’Eglise ou des philosophes éminents, aussi connus que Jean Damascène, François d’Assise, Thomas d’Aquin, Blaise Pascal, Alphonse de Liguori, et bien d’autres, ont rencontré l’islam sur le terrain théologique et de la raison. Il faut reconnaître qu’en mettant en parallèle leurs propos et l’alinéa concernant l’islam du décret de Vatican II Nostra Aetate, le chrétien de base a de quoi être dérouté. Le texte du concile se réfère, il est vrai, à une simple lettre du pape Grégoire VII, datant donc du XIe s. et reprise à diverses occasions, dans laquelle il considère que les chrétiens et les musulmans se doivent réciproquement une charité spéciale. On ne peut alors s’empêcher de se remémorer la lutte héroïque des Pères de l’Eglise (Athanase, Hilaire, Ambroise, Jean Chrysostome, etc.) contre l’hérésie arienne, niant la divinité du Christ.

Leurs exemples sont à méditer, à l’heure où le nouveau pape a choisi le nom de François, le pauvre d’Assise qui partit rencontrer le sultan pour tenter de le convertir, hélas sans succès.

A notre époque, il ne faut plus traverser les mers pour rencontrer des musulmans et, de ce fait, l’information objective sur les fondateurs des religions et leur nature est devenue une nécessité, car elle permet de ne pas rester sans réponse devant les questionnements des personnes rencontrées dans la vie courante.

Le second devoir est de dire la vérité.

Chaque chrétien est appelé, d’une manière ou d’une autre, à annoncer la Vérité (qui n’est autre que le Christ). C’est une tâche prioritaire, en raison du foisonnement des confusions et des contrevérités, dues au relativisme et à la perte progressive des connaissances sur les raisons de croire.

Le réveil des consciences à l’occasion du mariage contre nature, jusqu’à rassembler des foules considérables, comme on en avait encore jamais vu dans notre pays, est un fait très encourageant et a des répercutions bien au-delà de nos frontières. Malgré la conspiration et les mensonges des medias et du milieu politique, le message est clair : « Nous ne voulons pas de votre modèle de société ; pour qui vous prenez vous pour réduire à rien des millénaires de traditions, pour vous dresser contre le plan du Créateur ? ».

Pour ce qui concerne l’islam, les sondages montrent que, pour l’opinion, l’islam ne peut plus être présenté comme « la religion de paix et d’amour », ni même comme une religion nourrissant les feuillets des romans « orientalistes » ; il est désormais perçu comme une idéologie omniprésente et conquérante englobant tous les aspects de la vie en société. Un seul chiffre traduit la situation pour la France : on dénombrait 5 mosquées en 1965 ; il y en a plus de 2.100 aujourd’hui ; soit environ 45 mosquées nouvelles par an. Un bon nombre porte le nom de « la conquête – al Fath », au cas où nous n’aurions pas compris… Par ailleurs, il faudrait être bien naïf pour ne pas observer la progression des rites et coutumes musulmans dans les medias, les écoles, les corps d’armée, les magasins, les hôpitaux, etc. En promouvant les valeurs de l’islam, certains dirigeants ne sont pas pour autant devenus musulmans, mais ils s’en servent comme allié objectif pour saper la culture chrétienne.

Dès lors, si le dialogue est une exigence chrétienne, il ne doit pas être exclusivement dédié aux points non encore acquis par l’interlocuteur, et ne jamais déboucher sur des dérives syncrétiques, sous prétexte de compromis.

Quels sont les grands défis de notre temps ?

Votre question me fait penser à une réflexion de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, mort centenaire en 2009. Il dit en substance : pour ceux qui sont incapables de supporter l’existence d’autrui comme autrui, le seul moyen de se mettre à l’abri du doute et de l’humiliation consiste dans sa néantisation, car il est le témoin d’une autre foi et d’une autre conduite.

Le premier défi est donc de refuser cette néantisation, de nous tenir non seulement debout et non « soumis », fiers d’être chrétiens, fiers de nos civilisations ; de ne pas hésiter à convaincre par seule force de la parole, référée aux Saintes Écritures, porteuses du double commandement de la charité.

Le second défi est de défendre par tous les moyens ceux qui sont persécutés. On ne peut imaginer, en effet, que nos frères et sœurs chrétiens puissent se laisser humilier, voire massacrer, sans se défendre, ne serait-ce que pour protéger leurs familles et leurs biens. En d’autres temps, la chrétienté s’est parfois défendue avec les armes pour survivre : à Poitiers en 732, à Lépante en 1571, devant Vienne en 1529, puis en 1683, et durant la longue période de la Reconquista de 722 à 1492. La Sainte Ligue, qui remporte la victoire de Lépante est même organisée par le pape saint Pie V !

Comme la honte est dans l’air du temps, on en vient à de multiples demandes de pardon, s’appuyant parfois sur des faits mal documentés ou franchement erronés, faisant les gorgées chaudes de nos ennemis, qui s’étonnent à juste titre que l’on puisse à ce point donner des verges pour se faire fouetter, voire s’autodétruire.

Il faut être vigilant, surveiller ce qui se passe et réagir rapidement et avec fermeté ; ne rien laisser passer. Plusieurs exemples sont cités dans l’Amour et le mal. Pour n’en citer qu’un : la Commission européenne a imprimé plus de trois millions d’agendas (pour 5 millions d’euros) destinés aux élèves des écoles secondaires. Cet agenda, validé en haut lieu comprenait des références à de nombreuses fêtes religieuses juives, musulmanes, hindouistes, sikhs, mais aucune fête chrétienne n’était mentionnée. C’est en raison des protestations que les fêtes sont réapparues en 2012… Cette politique relève d’une action européenne concertée.

Le troisième défi est de savoir évoluer, tout en gardant, avec soin, la Tradition et les rites.

Cinquante ans après l’ouverture du concile Vatican II, l’Église catholique a publié une sorte d’état des lieux de la situation des églises locales du monde entier. Les problèmes, qui diffèrent selon les régions, sont mis clairement sur la table : fonctionnarisation, difficultés à transmette le message évangélique, apostasie silencieuse. Un tel document est en fait positif, car il oblige à se débarrasser de fausses certitudes : considérer, par exemple, que l’évangélisation est une atteinte à la liberté ; ou encore qu’il ne faut pas favoriser les conversions, et se contenter de promouvoir les actions en faveur de la justice, de la solidarité et de la paix. Il a aussi le gros avantage d’inciter à un retour au noyau central de la foi et à se souvenir que la sainte Liturgie a une autorité dans l’Eglise. Dès lors, on ne peut remettre en cause les rites immémoriaux, s’originant dans la vie même des communautés de l’Eglise primitive, sans conséquences funestes pour la vie de l’Eglise.

Le quatrième défi est de se montrer capable d’élargir notre regard sur le monde entier, et non plus au seul horizon de la France qui, tout en se croyant toujours la « lumière des nations », depuis la Révolution, ne représente plus que 1% de la population mondiale. Un regard trop hexagonal peut du reste décourager : il y avait 809.000 baptêmes vers 1970, et 316.000 en 2009. Cela représente une baisse vertigineuse sur 40 ans, d’autant que, parallèlement, les naissances se sont accrues.

Mais, dans le même temps, le christianisme connaît un véritable printemps en Afrique sub-saharienne et en Extrême-Orient. Alors même que la proportion musulmane a diminué depuis un siècle en Afrique, le nombre de catholiques est passé d’1 million en 1902 à 179 millions en 2009, soit 15,2% du nombre de catholiques dans le monde. L’ensemble des confessions chrétiennes représente 34% de la population africaine. La Chine pour sa part est en passe de devenir le premier pays chrétien du monde ; on ne sait pas très bien, mais il semble qu’il y aurait déjà environ 100 millions de chrétiens.

Le chrétien peut donc être optimiste, car il est le frère ou la sœur de plus de 2,3 milliards d’hommes et de femmes confessant la même foi trinitaire.

Le christianisme n’est qu’à ses débuts et a un bel avenir, car le Christ, bon berger, doit réunir toutes choses en lui, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre (Ep 1,10) et il a promis d’être avec nous tous les jours jusqu’à la fin des temps (Mt 28,20).

Propos recueillis par Falk van Gaver

Hervé Roullet, L’amour et le mal, L’œuvre, 2012

Publié le 09.04.2013.

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