Homélie sur les mères de famille
Homélie de monseigneur Rey prononcée à l’occasion du pèlerinage des mères de famille le 15 juin 2003 au sanctuaire ND de Grâces à Cotignac.
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Jean Paul II, dans sa lettre apostolique sur le rosaire, nous a invités à « contempler le visage du Christ à l’école de Marie ». Il invite les familles à prier le rosaire afin de reproduire le climat de la maison de Nazareth.
En ce saint lieu marial, je soulignerai un rapport essentiel du rosaire avec le mystère du temps.
Le rosaire, prière humble, simple, répétitive « résumé de l’Evangile » selon Jean Paul II, nous convie à un voyage dans le temps. Ce n’est pas étonnant que le rosaire soit la prière de ceux qui voyagent, des pèlerins comme Marie qui est poussé, après l’annonce évangélique, dans un voyage qui la conduira chez Elisabeth, à Bethléem, en Egypte, à Jérusalem.
Chaque « Je vous salue Marie » évoque le voyage individuel que chacun de nous doit faire de la naissance à la mort. Chaque Ave Maria est marqué par le rythme biologique de la vie humaine. Chaque Ave Maria parle de la naissance, de notre vie d’aujourd’hui, de notre mort.
1 – l’Ave Maria parle de la naissance, de la conception
« le fruit de vos entrailles est béni »
Les paroles de l’ange permettent la fertilité d’une jeune fille vierge, et d’une vieille femme stérile (Elisabeth).
Chaque fois que Dieu s’approche de l’homme, c’est pour le rendre fécond, lui redonner vie (cf. première parole de Dieu après la création de l’homme). Dieu nous offre un monde fertile face à toute forme de stérilité, d’aridité, de futilité.
Le rosaire est de ce fait une prière féminine, car c’est une prière qui s’adresse à une future mère, qui parle au cœur de chaque mère, car toute femme porte en soi, jusque dans sa chair ce sens, ce désir, cette trace, cette expérience de la vie, de la transmission de la vie, du caractère fragile et sacré de la vie.
Notre vie n’a de sens que prise dans une histoire plus vaste qui déborde la nôtre. Elle n’a pas de sens en elle-même, comme une histoire privée individuelle. Notre vie n’a de sens que prise dans une histoire qui s’étend du tout début du monde jusqu’à son achèvement, de la création du monde jusqu’à la Parousie, de cet instant où tout vient de Dieu jusqu’à ce point où tout retourne à Dieu.
L’Ave Maria, parle de notre propre naissance et de notre propre conception, qui est rapportée à une autre naissance, celle du Fils de Dieu qui est engendré à notre humanité. Une naissance , vécue il y a 2000 ans, mais qui convie chacun de nous à « renaître » afin d’entrer dans cette histoire plus large, l’histoire de Dieu avec les hommes.
L’Ave Maria nous invite à un recommencement, à entrer avec Marie dans la nouvelle création, dans la nouvelle alliance, dans une nouvelle fertilité, à s’ouvrir à l’infinie nouveauté de Dieu.
2 – Le rosaire parle aussi du présent, du moment présent
« Priez pour nous pêcheur, maintenant »
Le rosaire est une prière qui nous permet « d’habiter l’instant présent ».
L’Ave Maria associe le « maintenant » à l’épreuve, au combat du « pauvre pêcheur ». Le présent est un moment où nous avons besoin de compassion et de miséricorde. Dans la chapelle Sixtine, il y a une fresque du Jugement dernier où un homme est hissé hors du purgatoire par un ange au rosaire.
Le chapelet est le pain quotidien de la survie pour affronter la peur et la souffrance (SOS prière – La force des Ave égrenés dans la nuit à l’écoute des détresses à l’autre au bout du fil).
Le rosaire est à la fois méditation et supplication « Marie est toute puissante par grâce » auprès du cœur de son Fils. L’imploration de Marie est efficace, elle qui se tient pour nous devant le Père qui l’a comblée de grâce et devant le Fils qu’elle a mis au monde. Elle prie pour nous, avec nous.
En raison de sa proximité biologique, physique avec la vie, de sa sensibilité, de son intuition, chaque femme a le sens du « maintenant », a le sens de la profondeur, et de « l’intériorité » de l’instant, a « l’instinct de l’instant » qui ne se laisse pas appréhender, absorber par la raison purement rationnelle.
Depuis que Jésus a vécu parmi nous, il est venu sauver, racheter, sanctifier notre rapport au temps, nous libérer de la nostalgie mortifère du paradis perdu qui idéalise le passé et nous fige sous le dictat de l’éternel regret.
Il est venu nous affranchir de notre tentation d’anticiper le futur que l’on veuille se garantir ou se prémunir de l’incertitude de l’avenir que ce soit par le gourou ou le devin que l’on consulte, que ce soit par la présomption et l’utopie de la science qui serait censée nous préparer à un monde prométhéen où l’homme ne serait plus un problème pour lui-même.
Le christianisme est la religion de l’instant présent, de l’actualité de Dieu « Je suis avec vous pour toujours » mais aussi de la « dramaturgie » de l’instant. L’éternité, c’est la plénitude de la personne de Dieu donnée et vécue à chaque seconde.
3 – Le rosaire donne le sens de la mort
« Priez pour nous, pêcheurs, maintenant et à l’heure de la mort ».
La question que l’être humain se pose au fil de sa croissance humaine :
– celle de l’adolescent : « que vais-je faire de ma vie » ?
– celle du mourant : « Qu’ai-je fait de ma vie » ?
Mgr Rodhain, fondateur du Secours Catholique, au terme de sa vie a griffonné sur un papier la prière du « Je vous salue Marie ». Il s’est affaissé sur sa table de travail avec cette ultime rature : « et à l’heure de ma mort ».
Il y a quelques semaines, je perdais mon père de 93 ans, 70 ans de mariage. Il s’est éteint dans la maison des petites sœurs des pauvres. Elles l’entouraient dans ce moment de grâce du passage vers le Père. Et les dernières paroles qu’il entendit furent celles qui nous confient à Marie à l’heure du grand départ « Priez pour nous, pêcheur, maintenant et à l’heure de notre mort. »
Je pense que toute mère, parce qu’elle a l’expérience charnelle de la vie, des douleurs de l’enfantement a la perception subtile de la « survie ». N’est-ce pas une femme Marie-Madeleine, qui la première s’en fut au tombeau, le matin de Pâques.
Elle a vécu la mort du Christ au Golgotha, dans ce « jusqu’au bout » de la vie de Jésus auquel elle s’était attachée, jusqu’au dernier souffle.
Elle a vécu le travail du deuil, la déposition en terre et l’ensevelissement de Jésus auquel elle assistait. Mais sa fidélité et le pressentiment spirituel de la résurrection l’ont ramenée tôt matin au tombeau, dans le jardin de la nouvelle genèse.
Comme femmes, mères, vous apportez avec Marie-Madeleine, à notre monde mortifère, suicidaire, le pressentiment, l’intuition, et l’intelligence de la vie.
Votre témoignage est irremplaçable, indispensable, prophétique, « subversif » aussi.
Vous apportez le respect dû au corps qui porte la vie, et à son intégrité, à ce corps que vous savez habité, qui n’est pas, pour nous chrétiens, un objet de convoitise, de consommation ou de production, otage de la prétention utilitariste ou vénale de la science.
Notre corps est fait pour l’âme puisqu’elle l’habite, et pour une vie éternelle, en laquelle il ressuscitera.
Publié le 25.06.2003.
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